Science et romancier
« Science sans conscience n’est que
ruine de l’âme » écrivait Rabelais en 1532, dans son livre Pantagruel. Plus
tard Honoré de Balzac, dans son roman La Recherche de l’Absolu paru en
1834 va l’illustrer avec le personnage principal Balthazar Claës un bourgeois obsédé
par la recherche de l’Absolu qui se lance dans le procédé chimique de création du
diamant. Le chimiste Balthazar Claës fait partie des savants fous célèbres que
nous a donnés la littérature du 19ème siècle.
On apprend qu’il pousse le projet de
découvrir le processus qui préside à la cristallisation du carbone aux fins de
produire en abondance de purs diamants.
Aidé de son fidèle valet, Claës
s’engage dans ses expériences. Mois après mois, son comportement se
métamorphose. Il délaisse peu à peu sa famille, perd le sens de la mesure, se
néglige, dépérit. Il achète sans compter machines, équipements, verreries, produits
chimiques, minéraux nécessaires à ses travaux. Pour financer ces dépenses
exorbitantes, il hypothèque ses propriétés, dilapide sa fortune. On ne manque
pas de le mettre en garde, de tenter de lui faire admettre qu’il « [marche]
seul au milieu [d’] abîmes sans issue », mais il ne veut rien entendre.
« Assez,
Balthazar ; tu m’épouvantes, tu commets des sacrilèges. Quoi ! mon amour
serait…
– De la
matière éthérée qui se dégage, dit Claës, et qui sans doute est le mot de
l’Absolu. Songe donc que si moi, moi le premier ! si je trouve, si je trouve,
si je trouve ! » En disant ces mots sur trois tons différents, son visage monta
par degrés à l’expression de l’inspiré. « Je fais les métaux, je fais les
diamants, je répète la nature, s’écria-t-il.
– En
seras-tu plus heureux ? cria-t-elle avec désespoir. Maudite Science, maudit
démon ! tu oublies, Claës, que tu commets le péché d’orgueil dont fut coupable
Satan. Tu entreprends sur Dieu. »
Scène de la
vie privée lorsqu’il paraît en 1834, Etude philosophique quand Balzac le
republie en 1846, le livre superpose les deux dimensions car cette histoire
d’une famille où le génie dévore tout jusqu’à la folie, où la passion provoque
les plus grands malheurs domestiques, est aussi le roman de l’aventure
scientifique et de la rêverie métaphysique d’un Grand Tout. Parce que l’Absolu,
pour Claës, est la « substance commune à toutes les créations », il n’est pas
l’alchimiste qu’a voulu voir Sainte-Beuve, mais ce savant solitaire qui, de
l’alchimie, précisément, à la chimie, entend bien opérer le passage des temps
anciens aux temps nouveaux – et la science moderne devient balzacienne.
Je parle
pour les gens habitués à trouver de la sagesse dans la feuille qui tombe, des
problèmes gigantesques dans la fumée qui s'élève, des théories dans les
vibrations de la lumière, de la pensée dans les marbres, et le plus horrible
des mouvements dans l'immobilité, je me place au point précis où la science
touche à la folie...
Honoré de Balzac, Balthazar Claës ou la
Recherche de l'absolu, 1834.
Le Docteur Pascal est le roman qui raconte l’histoire du docteur Pascal
Rougon, un médecin à Plassans, lieu d’origine de la famille. Pascal est en
rapport avec trois femmes qui jouent un rôle important dans l’action : sa nièce
Clotilde, sa mère Félicité et sa servante Martine. Le projet de Pascal est
d’étudier les lois de l’hérédité en observant les membres de sa propre famille,
les Rougon-Macquart. Pour ce faire, il réunit tous les documents et
renseignements disponibles pour les archiver et pour en tirer des conclusions
concernant le fonctionnement de l’hérédité. Ces documents sont gardés dans une
armoire, qui devient la cible de la volonté de destruction incarnée par
Félicité. Celle-ci veut empêcher que son fils déshonore sa famille en
réunissant et en publiant des documents qui sont en rapport avec les vices
cachés et les défauts de chaque membre de la famille.
– Enfin !
répéta-t-elle tout bas, depuis trente ans que je veux et que j’attends !...
Dépêchons, dépêchons, Martine ! aidez-moi !
Déjà, elle
avait apporté la haute chaise du pupitre, elle y était montée d’un bond, pour prendre
d’abord les papiers de la planche supérieure, car elle se souvenait que les
dossiers se trouvaient là. Mais elle fut surprise de ne pas reconnaître les
chemises de fort papier bleu, il n’y avait plus là que d’épais manuscrits, les œuvres
terminées et non publiées encore du docteur, des travaux inestimables, toutes
ses recherches, toutes ses découvertes, le monument de sa gloire future, qu’il
avait légué à Ramond, pour que celui-ci en prît le soin. Sans doute, quelques
jours avant sa mort, pensant que les dossiers seuls étaient menacés, et que
personne au monde n’oserait détruire ses autres ouvrages, avait-il procédé à un
déménagement, à un classement nouveau, pour soustraire ceux-là aux recherches
premières.
– Ah ! tant
pis ! murmura Félicité, il y en a tellement, commençons par n’importe quel
bout, si nous voulons arriver... Pendant que je suis en l’air, nettoyons
toujours ça... Tenez, réchappez, Martine !
Et elle vida
la planche, elle jeta, un à un, les manuscrits entre les bras de la servante,
qui les posait sur la table, en faisant le moins de bruit possible. Bientôt,
tout le tas y fut, elle sauta de la chaise.
– Au feu !
au feu !... Nous finirons bien par mettre la main sur les autres, sur ceux que
je cherche... Au feu ! au feu ! ceux-ci d’abord ! Jusqu’aux bouts de papier
grands comme l’ongle, jusqu’aux notes illisibles, au feu ! au feu ! si nous voulons
êtres sûres de tuer la contagion du mal !
Elle-même,
fanatique, farouche dans sa haine de la vérité, dans sa passion d’anéantir le témoignage
de la science, déchira la première page d’un manuscrit, l’alluma à la lampe,
alla jeter ce brandon flambant dans la grande cheminée, où il n’y avait pas eu
de feu depuis vingt ans peut-être ; et elle alimenta la flamme, en continuant à
jeter, par morceaux, le reste du manuscrit.
Émile Zola, Le docteur Pascal, 1893.
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