mercredi 10 avril 2019

Exposé de Coups de Pilon de David Diop


INTRODUCTION

La Négritude s’est d’abord imposée comme un mouvement littéraire et socio-politique qui vise la réhabilitation de l’homme noir dans toute son authenticité raciale c'est-à-dire un combat pour la libération de l’Afrique. En effet, cette lutte ayant pour objectif la décolonisation de tout le continent noir et le rêve d’une Afrique libre fut d’abord celui des intellectuels qui ont, par la plume, défendu les valeurs ancestrales et les droits de leurs peuples. A l’instar de ces écrivains, David Diop viendra dans Coups de pilon, chanter sa race, célébrer son continent, refuser la soumission, éveiller la conscience du peuple, condamner l’aliénation, militer pour l’indépendance de toute l’Afrique.

I.                   BIOGRAPHIE ET BIBLIOGRAPHIE DE L’AUTEUR

David Diop est né d’un père sénégalais (Mamadou Yandé Diop) et d’une mère camerounaise (Maria Mandessi Bell) le 09 Juillet 1927 à Bordeaux lors d’un congé de ses parents. Il foule le sol sénégalais pour la première fois en 1931. A la suite du décès de son père en France David et ses sœurs et frères sont confiés à une amie de la famille à St-Louis où il fréquente le prestigieux lycée Faidherbe. Durant l’année scolaire 1943-1944, brillant élève de Senghor en classe de seconde, il se présente avec succès en candidat libre à la première partie du baccalauréat. Après l’obtention de la deuxième partie du baccalauréat l’année suivante au lycée Louis le grand de Paris, il s’inscrit en faculté de médecine à Grenoble. Maladif, il subit une intervention chirurgicale aux poumons et reste pendant deux ans interné à l’hôpital St-Hilaire.
En 1947 avec la naissance de Présence Africaine, il se voit publier trois poèmes qu’il dédie à Alioune Diop : « Le temps du martyr »,  « Celui qui a tout perdu », « Souffre pauvre nègre ».
La même année, Senghor dont on connaît les exigences en poésie l’introduit dans son Anthologie avec deux poèmes inédits (« Défi à la force » et « Un blanc m’a dit ») en ces termes : « Nous ne doutons pas qu’avec l’âge, David n’aille s’humanisant. Il comprendra que ce qui fait la Négritude du poème, c’est moins le thème que le style, la chaleur émotionnelle qui donne vie aux mots, qui transmue la parole en verbe ». Ainsi pour Senghor, il manquerait  au jeune David cette maturité de méditation qu’il acquérait avec l’expérience.
En 1949, il publie dans Présence Africaine un article intitulé Rythmes et chants d’Afrique qui sonne comme une autocritique quotidienne et rigoureuse des insuffisances rythmiques et méthodiques des jeunes artistes africains.
En 1951, David se convainc d’abandonner les études de médecine pour entreprendre celles de lettres. Il s’inscrit à Montpellier la même année et rencontre celle qui deviendra la mère de ses trois enfants, Rama Kam (Virginie Kamara).
En 1953, il publie dans les numéros 3 et 4 de Présence Africaine le poème « A un enfant noir » et un article sur les poètes africains. En 1956, il publie son unique recueil de poèmes, Coups de pilon.
De retour au Sénégal, il enseigne au lycée Maurice Delafosse en 1957/58 où il rencontre sa femme Yvette, disparue avec lui dans la catastrophe aérienne du 29 Août 1960.
En somme à la lumière de cette approche biographique, nous retiendrons que David Diop, malgré sa jeunesse tumultueuse a eu le mérite de surmonter sa souffrance, d’avoir affronté les études difficiles pour s’élever. Au cœur de ses épreuves, au long de ses longues nuits d’hôpital il s’est identifié à son peuple faisant de ses souffrances, de ses angoisses et de son espoir son credo.

II.                ANALYSE DE L’ŒUVRE
      
  1. Le titre

Le pilon est cet instrument domestique que les femmes utilisent pour moudre la céréale dans le mortier. Il est donc un instrument de transformation qui permet à David de rapprocher son utilité à celle de la poésie  africaine qui doit se proposer de transformer les consciences africaines. Au-delà,  le titre est aussi une métaphore qui prolonge l’encrage du poète et son attachement à son Afrique.
Le titre renvoie à une signification pédagogique qui incite au travail mais au travail libérateur. C’est une invite des africains au travail qui les attend en même temps qui les plonge dans une sorte de retour au passé, au bon passé, le passé noble, le passé des pilons, seule vérité de l’homme noir. C’est dans cette perspective qu’il faut placer les coups de pilon qui résonnent au contact du mortier, chant ample, scandé, tendre et violent. Ils sont une invite au travail, à l’aube naissante d’un monde nouveau. L’aube, c’est l’heure africaine par excellence, l’heure où l’homme des pays chauds peut oser défier le travail. C’est d’ailleurs à l’aube que retentissent les coups de pilon symbole de la survie humaine.

  1. Structure et thèmes du recueil

Le recueil, Coups de pilons, de l’édition originale  est structuré en  trois parties qui contiennent, respectivement 17 poèmes ; Cinq poèmes et enfin Poèmes retrouvés renfermant 21 pièces.
Le recueil s’organise autour de trois thèmes majeurs : la dénonciation du colonialisme, la réhabilitation du continent noir et l’appel des opprimés à la lutte libératrice qui correspondent à l’axe chronologique du temps (Passé- Présent -Futur).

-          La dénonciation du colonialisme
Ce thème permet à David Diop d’évoquer la situation qui prévaut à l’heure des colonies. C’est une situation très difficile pour les africains exposés aux assassinats,  aux vols,  aux tortures… Le blanc renverse complètement l’ordre naturel des choses. Adieu la tranquillité, adieu le bonheur, adieu la vie. C’est tout le sens du poème « Celui qui a tout perdu », poème dont la structure (2 strophes) traduit bien la rupture entre les deux époques : la première partie est consacrée à l’heureuse Afrique tandis que la deuxième partie introduite par l’adverbe « Puis » décrit l’enfer créé par la situation coloniale. Aux éclats de joie succède le silence lourd. Le soleil s’éclipse, l’uniforme de guerre couvre la beauté nue des enfants, le grincement des chaînes remplace le son du tam-tam. On détruit, on asservit pour mieux piller. Hommes sans cœur, les colons se vautrent dans les valeurs matérielles, le ravage spirituel, le carnage et les barbaries de toutes sortes .On a affaire à des monstres, des vautours, des hyènes qui disent posséder la science et la technique mais qui sont dépourvus de sentiments : cf. le poème «  Les vautours » : «  Hommes étranges qui n’étiez pas des hommes / vous saviez tous les livres vous ne saviez pas l’amour ».
Mais il y a plus grave encore : ces savants qui transforment l’Afrique en un gigantesque abattoir tiennent entre leurs mains un livre qui prêche l’amour. En fait, s’agissait-il de l’amour de faire des martyrs ? Cela en a tout l’air comme l’atteste le poème «  Le temps des martyrs » : « Le blanc a tué mon père car mon père était fier, le blanc a tué ma mère car ma mère était belle ». En somme par des mots concrets, une syntaxe simple, un langage économique et un style clair, l’auteur de Coups de pilon dénonce la colonisation en accentuant la brutalité des colons.

-          La réhabilitation du continent noir
Ce thème fait référence dans l’œuvre à l’évocation de l’Afrique d’antan qui contrairement à l’avis de ceux qui l’ont transformée en enfer n’en était point un. Voilà pourquoi le poète regrette cette époque. Alors sans verser dans le sentimentalisme excessif, David Diop affirme les valeurs originales du continent noir. L’Afrique est la source de l’identité du noir où qu’il se trouve «  Auprès de toi, j’ai retrouvé mon nom/ mon nom toujours caché. O mère mienne et qui est celle de tous ». On voit donc que l’Afrique est la mère patrie de tous les nègres, mère radieuse, symbole d’affection et d’altruisme. Cet Afrique mère protectrice est comme un arbre qui protège de son ombre les valeurs ancestrales. Ainsi soutiendra-t-il à la page 33 du recueil  « Cet arbre –là, splendidement seul au milieu des fleurs blanches et fanées c’est l’Afrique,  ton Afrique qui repousse, qui repousse patiemment, obstinément et dont les fruits ont peu à peu l’amère saveur de la liberté. »
Robuste et fort, on le voit, l’arbre résiste aux forces de destruction, déploie ses forces génératrices et inlassablement fait naître de nouvelles pousses. L’arbre est également la source distributrice de l’énergie nécessaire à l’émergence du peuple noir bafoué,  peuple dont David révèle l’âme dans «  A ma mère » «  A une danseuse » «  Rama kam »
Pourquoi alors tant de féminité dans l’évocation des fastes culturelles qui réhabilitent l’Afrique ? Le sourire paisible et réconfortant ainsi que la patience de la mère est symbole d’amour, de dignité et de confiance en soi. La beauté sensuelle de la femme noire n’a rien à envier à celle d’une quelconque race supposée supérieure. La jeune fille qui danse, cette danse, pur mouvement est l’expression passionnée de la joie de vivre et de la chaleur humaine. Elle est également symbole de vie et l’inaltérable beauté de Rama Kam renvoie à la beauté naturelle et sans artifice de l’Afrique : « Me plait ton regard de fauve et ta bouche à la saveur de mangue Rama Kam ». Les allusions faites à la mère, à la danseuse et à Rama Kam ont permis à David de réhabiliter l’Afrique dans le monde en insistant sur cette terre de beauté, de joie, de paix, de rythme, de danse, de chaleur, d’hospitalité qui se fondent dans un univers lumineux et chaud preuve de l’existence d’une culture et d’une civilisation sans équivoque.

-          L’appel des opprimés à la lutte
Ce thème constitue la troisième variable de Coups de pilon. Au fait, qu’est-ce que le peuple noir à ce moment précis de l’histoire ? David répond lui même, écoutons le alors « Le peuple que l’on traîne/ traîne promène et déchaîne » comme un chien en laisse. Un peuple objet qu’on fait travailler jusqu’au sang pour faire grassement les autres, un peuple otage, victime de son innocence, des ruses, des méchancetés et des conspirations des autres. Mais c’est un peuple qui sait hurler. Et c’est précisément pour l’inviter à hurler avec énergie et à refuser irrévocablement la soumission que David Diop offre au lecteur une vision rouge, macabre et accablante des méfaits de l’esclavage. Révolte et libération telle est la voie du futur, voie pleine d’embûches certes, mais O combien exaltante !  N’est ce pas le sens du cri de ralliement que lance David Diop dans «  Ecouter camarades ». C’est ce qui explique la valeur de l’impératif, le choix des éléments destructifs et dévastateurs comme « incendie, crépitement, feu, ouragan, volcan » qui éveillent le peuple noir et lui demandent de se lever et de crier NON. Voilà la condition essentielle à laquelle l’homme noir retrouvera sa dignité. Dans Coups de pilon, le peuple noir se définira par la violence parce qu’il a été violenté. Ainsi appréhendée, l’œuvre de David Diop est militante et foncièrement engagée. Il est alors le poète des opprimés et de l’espoir.

III.               LE SENS DU RECUEIL

La première fonction de la poésie, semble dire David Diop, est d’être un moyen d’expression, de libération de l’homme en général et, pour l’Afrique des années 50-60 du XXe siècle, un moyen de défense et de lutte contre toutes les formes d’oppression imposé par l’empire colonial. C’est grâce à elle que peut s’instaurer l’équilibre du monde et se restaurer l’identité et l’authenticité africaines. Elle se veut une poésie militante.
Par la force des choses, elle se révèle une poésie de « témoignage », de refus ; une poésie violente qui réagit contre toutes formes d’exploitation de l’homme par l’homme, contre les formes de violence, contre toutes les formes d’hypocrisie, contre les illusions berceuses, contre les massacres perpétrés partout dans le monde :

« Je ne suis pas né pour les plantations à profit
Je ne suis pas né pour fabriquer la Mort
Je suis né pour briser à coups de pierres dures
La carapace tenace de nos faux paradis » (p.45)

Comme les maîtres du mouvement de la Négritude, Senghor, Léon Gontran Damas et essentiellement Césaire, David Diop veut forcer le respect du Blanc, « il ramasse le mot de nègre qu’on lui a jeté comme une pierre, il se revendique comme noir, en face du blanc, dans la fierté ». Avant lui, Césaire a créé le terme de « négritude » en 1933, qui désigne l’« ensemble des caractères, des manières de penser, de sentir propres à la race noire » et « l’appartenance à la race noire », mais d’abord la volonté d’ « accepter », « la simple reconnaissance du fait d’être noir et l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture ». Senghor en fait aussi toute une vision du monde, toute une philosophie. David Diop, lui, va plus loin, il veut arracher à l ‘homme blanc cette reconnaissance ; il ne se contente pas d’exiger la reconnaissance de l’homme noir lui-même, c’est-à-dire l’acceptation de sa différence, mais rejette la civilisation occidentale qui le révolte par ses valeurs. Le poème intitulé « Reconnaissance », qui fait partie des 21 Poèmes retrouvés, est un véritable pastiche d’un fragment de Cahier d’un retour au pays natal de Césaire.
Le ton est d’un sarcasme et d’une ironie singuliers. C’est un véritable pamphlet :
« Ö vous qui avez inventé
Fer à repasser
Bouton de col
Epingle à nourrice
Lunettes de soleil
Ma race vous crie : « Merci ! »
Au nom de la ci-vi-li-sa-tion » (p.57).

IV.              LE STYLE DANS COUPS DE PILON

Le style de David Diop dans Coups de pilon peut être considéré comme ce que Senghor appelle « le style nègre ». En effet cette poésie est aux antipodes de la poésie européenne avec ses multiples règles qui bloquent l’inspiration. Dans Coups de pilon, on note au niveau des vers un mètre libre très proche de l’oralité. Le poète, pour mieux exprimer sa révolte, a souvent recours aux figures d’amplification comme l’anaphore, l’hyperbole, la concaténation… La personnification occupe aussi une place importante dans cette poésie.   
En outre, David Diop a recours à l’usage de la première et de la deuxième personne pour créer une certaine complicité avec le lecteur. Le cri du poète est le même quel que soit le temps de l’indicatif employé : le présent (« Toi qui pleures (« Défi à la force » p.38), le passé composé « Le Blanc a tué mon père » (« Le Temps du martyre » p. 33), le passé simple : « Les rayons du soleil semblèrent s’éteindre » (p.35) ou l’imparfait « Le soleil riait dans ma case » (« Celui qui a tout perdu » p.34).
L’auteur a constamment recours à l’impératif : « Souffre » (« Souffre pauvre nègre » p.36), mais ce mode, par exemple, sert ici plutôt à traduire une indignation de l’auteur qui refuse de voir le Noir continuer à accepter la soumission à l’homme blanc qu’à lui donner un ordre à exécuter. On pourrait alors comparer sa poésie à un vaccin. A la manière des anticorps qui nous immunisent contre les maladies,  David Diop nous injecte la violence pour nous préparer à mieux y résister.

CONCLUSION

Coups de pilon est un hymne à la liberté, un cri de révolte contre toutes les formes d’oppression que subissait l’Afrique à l’époque coloniale. C’est aussi une célébration de la lutte du peuple noir pour son indépendance politique et pour l’affirmation de son identité. La réhabilitation de la race noire, de l’homme opprimé se fait d’abord par la revalorisation de la culture négro-africaine et la remise en question des valeurs de l’envahisseur.

Exposé de L'étranger d'Albert Camus

Introduction

Cette étude qui a pour objet de proposer une lecture de L’Etranger d’Albert Camus est une interprétation de divers symboles par lesquels il cherche à représenter son système philosophique ou précisément celui qu’il met en œuvre dans Le Mythe de sisyphe. Il n’est pas superflu de rappeler que L’Etranger comme une mise en image du mythe sisyphe. Si dans ce dernier ouvrage il tente de donner claire conscience du concept d’absurdité dans le premier, il s’agit de « dévoiler » absurdité du monde, de susciter le sentiment de l’absurde dans le but de provoquer une réaction en sa présence, un état d’esprit qu’il désigne par terme de révolte. Par rapport à ce double objectif, il met en contribuer ses talents de romancier (technique), du récit et de styliste (technicien) de langue.

I.                   BIOGRAPHIE ET BIBLIOGRAPHIE

Né en Algérie au sein d’une famille modeste, orphelin de père, Albert Camus commença des études de philosophie pendant lesquelles il subit l’influence de son ami Jean Grenier (qui lui fit notamment découvrir Nietzsche) mais qu’il dut interrompre pour raison de santé (il était atteint de tuberculose). Parallèlement, il commença à participer à des projets dramatiques en adaptant ou en jouant des pièces de théâtre.
Pendant son bref passage au Parti communiste (1935-1936), il fonda et anima la troupe du Théâtre du Travail afin de mettre les œuvres dramatiques classiques et contemporaines à la portée du public défavorisé. Il anima ensuite une autre troupe, le Théâtre de l’Équipe, et publia sa première œuvre, l’Envers et l’Endroit (1937), une série d’essais littéraires variés où apparaissent déjà les grands thèmes de sa maturité : la mort, le soleil, la Méditerranée, l’isolement, le destin de l’homme, le rapprochement entre désespoir et bonheur, etc.
À partir de 1938, Camus exerça une activité de journaliste, d’abord à Alger (Alger républicain, Soir républicain) puis à Paris (Paris-Soir), où il s’installa définitivement en 1942. C’est là que parurent simultanément et dans la clandestinité le roman l’Étranger et l’essai le Mythe de Sisyphe (1942), deux œuvres remarquées qui exposaient la philosophie de Camus et qui s’inscrivaient dans ce que lui-même appela le «!cycle de l’absurde!» (cycle complété ensuite par les pièces de théâtre le Malentendu, 1944, et Caligula, 1945). Alors qu’il avait été réformé à cause de sa maladie en 1939, Camus fut très actif dans la Résistance au sein du mouvement Combat. À la Libération, il devint le rédacteur en chef du journal Combat, aux côtés de Pascal Pia, et se mit au service des grandes causes humanitaires internationales.
Cependant, il poursuivait son œuvre littéraire à un ryhtme soutenu avec, notamment, la création de ses pièces le Malentendu et Caligula et la publication de son roman la Peste (1947) qui inaugurait le cycle de la révolte et de la solidarité, où s’inscrivent l’État de siège (1948) et les Justes (1949) mais surtout l’essai l’Homme révolté (1951). Ce dernier ouvrage fut à l’origine de la rupture définitive entre Camus et Jean-Paul Sartre, car elle soulignait clairement les divergences entre la pensée du premier et l’existentialisme du second.
En 1952, Albert Camus démissionna de son poste à l’Unesco pour manifester sa réprobation devant la passivité de cette institution à l’égard de l’Espagne franquiste (voir Franco, Francisco). Par la suite, en 1956, il s’engagea de nouveau en tentant d’intervenir en faveur d’une trêve dans la guerre d’Algérie.
Il publia ensuite la Chute (1956), où il revenait sur sa rupture avec l’existentialisme, ainsi qu’un recueil de nouvelles, l’Exil et le royaume (1957). La même année, il reçut le prix Nobel de littérature pour «!avoir mis en lumière les problèmes se posant de nos jours à la conscience des hommes!». Le 4 janvier 1960, en pleine gloire, alors qu’il travaillait à un autre roman, le Premier Homme (posthume, 1994), il se tua dans un accident de voiture.

II.                STRUCTURE ET RESUME DU ROMAN

  1. Structure du roman

Le roman est structuré en deux parties. La première s’ouvre sur la mort de la mère de Meursault, et évoque l’attitude du personnage, sa liaison avec Marie et le meurtre de l’arabe. La 2ème partie s’ouvre sur l’emprisonnement du héros et évoque son procès au cours duquel on a plutôt insisté sur son insensibilité et son « cœur de criminel ».
Meursault est condamné à la peine capitale et dans sa révolte contre les institutions judiciaires et religieuses, il rejette son pouvoir en grâce et attend lucidement son exécution.

  1. Le résumé

Le narrateur, Meursault, employé de bureau à Alger, apprend que sa mère est morte, dans un asile. Il va l'enterrer sans larmes, et sous un soleil de plomb qui ne fait qu'augmenter son envie d'en finir avec la cérémonie. De retour à Alger, il va se baigner et retrouve une ancienne collègue, Marie. Ils vont voir un film comique au cinéma, et elle devient sa maîtresse. Un soir, Meursault croise Salamano, un voisin, et est invité par Raymond, un autre voisin de palier. Ce dernier, ancien boxeur, lui raconte sa bagarre avec le frère de sa maîtresse, et lui demande d'écrire une lettre qui servira sa vengeance. Quelques jours plus tard, Raymond se bat avec sa maîtresse et la police intervient. Meursault accepte de l'accompagner au commissariat.
Invité par Raymond à passer un dimanche au bord de la mer dans le cabanon d'un ami, Masson, Meursault s'y rend avec Marie. Après le repas, les hommes se promènent sur la plage et rencontrent deux Arabes, dont le frère de la maîtresse de Raymond. Ils se battent et Raymond est blessé. De retour au cabanon, Meursault le tempère et lui prend son revolver, pour lui éviter de tuer. Reparti seul sur la plage, il retrouve par hasard le frère, qui sort un couteau. Assommé par le poids du soleil, il se crispe sur le revolver et le coup part tout seul; mais Meursault tire quatre autres coups sur le corps inerte.
Meursault est emprisonné. L'instruction va durer onze mois. Il ne manifeste aucun regret lorsqu'il est interrogé par le juge, aucune peine lorsque son avocat l'interroge sur les sentiments qui le liaient à sa mère. Le souvenir, le sommeil et la lecture d'un vieux morceau de journal lui permettent de s'habituer à sa condition. Les visites de Marie s'espacent.
Le procès débute avec l'été. L'interrogatoire des témoins par le procureur montre que Meursault n'a pas pleuré à l'enterrement de sa mère, qu'il s'est amusé avec Marie dès le lendemain et qu'il a fait un témoignage de complaisance en faveur de Raymond, qui s'avère être un souteneur. Les témoignages favorables de Masson et Salamano sont à peine écoutés. Le procureur plaide le crime crapuleux, exécuté par un homme au coeur de criminel et insensible, et réclame la tête de l'accusé. L'avocat plaide la provocation et vante les qualités morales de Meursault, mais celui-ci n'écoute plus. Le président, après une longue attente, annonce la condamnation à mort de l'accusé.
Dans sa cellule, Meursault pense à son exécution, à son pourvoi et à Marie, qui ne lui écrit plus. L'aumônier lui rend visite, malgré son refus de le rencontrer. Meursault est furieux contre ses paroles, réagit violemment et l'insulte. Après son départ, il se calme, réalise qu'il est heureux et espère, pour se sentir moins seul, que son exécution se déroulera devant une foule nombreuse et hostile.

III.              ETUDE DES PERSONNAGES

        1. Les Personnages principaux

-  Meursault : C’est le personnage principal de ce roman, c’est aussi le narrateur. Il n’a pas connu son père et il n’en a pas une idée fixe.Il ne croit pas en Dieu et trouve que c’est une chose sans importance.Il a une maîtresse qui se nomme Marie, ils ne se sont pas mariés.Il vit dans une étrange insensibilité et indifférence : au moment d’agir, il note d’ordinaire qu’on peut faire l’un ou l’autre et que « ça lui est égal ».Sans illusion sur les principes reconnus par la société( comme la mort, le mariage, l’honnêteté) il se comporte comme si la vie n’avait pas de sens.Il est étranger à la société dans laquelle il vit.Il ne parle pas pour ne rien dire, il n’est pas très bavard.Il est d’un caractère renfermer et taciturne, il ne s’interroge pas souvent.Ses besoins physiques dérangent souvent ses sentiments.Il refuse de mentir.
- Marie Cardona : elle est la maîtresse de Meursault.C’est une ancienne Dactylo du bureau de Meursault, elle est brune.Ils se retrouvent à la plage après la mort de la mère de Meursault.Elle permet en quelque sorte la communication du héros avec la nature.
- Raymond Sintès : il est l’ami de Meursault et voisin de palier.Magasinier assez petit avec de larges épaules et un nez de boxeur, toujours bien habillé.C’est lui qui demanda un jour à Meursault de lui écrire une lettre pour sa maîtresse.Toute chose qui permettra au procureur de parler de la moralité douteuse de meursault.Il est aussi celui qui a mis en contact la victime et le meurtrier.Il assistera au jugement de Meursault et témoignera.
- Le vieux Salamano : c’est le deuxième voisin de palier de Meursault qui vit avec son chien depuis huit ans année de la mort de sa femme.
- Céleste : propriétaire d’un restaurent où Meursault avait l’habitude d’aller manger.
- Emmanuel : c’est le collègue de service de Meursault avec qui il mange souvent.C’est avec lui que Meursault a emprunter le brassard noir et une cravate noire pour aller à l’enterrement de sa mère.

       2. Les personnages secondaires

- Monsieur Massan et sa femme : Ce sont les amis de Raymond.Ce sont eux qui ont invité Raymond, Meursault et Marie à la plage. Monsieur Massan est grand de taille ; sa femme quant à elle est petite, ronde et gentille.
- Le concierge : c’est le gardien de l’asile où était la mère de Meursault.C’est un vieil homme aux beaux yeux, un teint un peu rouge et une moustache blanche.Il est un parisien de soixante quatre ans.
- Le vieux Thomas Pérez : c’était un vieil ami de la mère de Meursault.Ils étaient ensemble à l’asile.
- Le Directeur de l’asile : il est petit, vieux, avec la légion d’honneur.Il a des yeux clairs.
- L’avocat de Meursault : petit rond assez jeune, cheveux soigneusement collés.
- L’arabe : le frère de la maîtresse de Raymond.
-Le juge et l’aumônier qui cherche à le convertir juste avant son exécution.

IV.              ETUDE DES THEMES

1. L’absurdité :
Elle s’oppose à deux forces : c’est le divorce entre l’Homme et le monde.Elle se manifeste à travers ces deux points suivants :
- l’appel humain à connaître sa raison d’être et l’absence de réponse du milieu où il se trouve.Le constat se fait par Meursault qui vit dans un monde dont il ne comprend pas le sens, dont il ignore tout jusqu'à sa raison de vivre.
- L’attitude de Meursault est contraire à la logique ; cela se voit par son indifférence à la mort et à l’enterrement de sa mère ; il n’y a pas de chagrin de sa part.La seule compassion vient de son entourage.Il est taciturne et ne ressent aucun sentiment.Son absurdité se voit aussi à travers les réponses aux questions qu’on lui pose.Il n’y a chez lui ni interrogation, ni révolte, ni même prise de conscience.

2. Le meurtre :
Il constitue le pivot central.En tuant l’arabe, Meursault ne répond donc pas à un instinct meurtrier.Tout se passe comme s’il avait été le jouet du soleil et de la lumière.Meursault et un Arabe se retrouvent plus tard ; du fait d’un soleil écrasant, Meursault va vivre la suite des évènements dans une espèce de demi- conscience ; il serre le revolver de Raymond dans sa poche, envisage de faire demi tour, mais sent la plage « vibrante de soleil » qui se presse derrière lui ; les yeux aveuglés de sueur, la main de Meursault se crispe sur le revolver, le coup part.C’est là dans le bruit à la foi sec et assourdissant que tout à commencer.C’est à partir de ses moments que Meursault connaîtra un bouleversement dans sa vie.

3. La révolte :
Elle se voit dans l’œuvre à travers le comportement de meursault après le meurtre.Il n’est pas d’accord que son avocat se substitue à lui, il répond sans mesurer les conséquences de ses propos au tribunal.Avec son emprisonnement, contemplant sa mort en sursis ; il est obligé de réfléchir sur la vie et son sens.
Meursault renaît au monde et à lui-même, comme si la mort approchant lui avait fait sentir combien il avait été heureux.Il prit alors conscience de l’absurde de toute sa vie.
Dans sa cellule durant son procès, il s’ennui et relis pour passer le temps un vieil article de journal illustrant la révolte.

4. La justice :
la culpabilité de Meursault est indiscutable, mais la condamnation ne reçoit aucune justification, pour plusieurs raisons.A savoir :
- il n’est pas condamné pour le meurtre, mais pour n’avoir pas joué le jeu et pour n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa mère,
- le procès obéit à une sorte de rite préétabli, dépourvu de toute signification réelle, mais auquel il est convenu de se conformer.Les discours des uns des autres entièrement stéréotypé suscite surprise et interrogation chez Meursault.Inversement le président du tribunal se déclare incapable de comprendre le système de défense de celui-ci.

5. Le procès :
le procès est décrit à travers la conscience d’un personnage qui ne connaît rien aux codes en vigueur.Meursault s’étonne de certaines pratiques, ainsi que du discours des juges et des termes qu’ils emploient.Il est impossible au sens strict de juger Meursault.Meursault échappe à toute logique, il se comporte comme un étranger a toutes les normes établies.

6. Le refus :
Meursault contrairement aux apparences ne veut pas se simplifier la vie .Il dit ce qu’il est, et refuse de masquer ses sentiments et aussitôt la société se sent menacée.Meursault ne se contente pas d’ignorer le jeu social, il refuse de le jouer.Sans aucune attitude héroïque, il accepte de mourir pour ce qu’il considère comme une vérité refusant donc de mentir en lui-même.

7. La société :
elle est toute entièrement régie par des règles appelées codes.les codes sociaux entraînent toute une série de rites auxquels chacun doit se conformer.Ainsi a société de Meursault ne vie que par et pour le respect de ses codes.Mais Meursault, lui avait du mal à respecter ses règles sociales préétablies toujours plus ou moins mal à l’aise dans ses relations sociales et au contraire en total harmonie avec les éléments de la nature, l’eau en particulier, associer au plaisir et à l’amour.Même le soleil, par ailleurs si souvent,insupportable procure à Meursault souvent un bien-être.

      V.  L’ESPACE ET LE TEMPS

1.        L’espace

Les principales actions se déroulent à Alger. Camus ne manque pas aussi de faire habiter Meursault à Belcourt, un quartier où lui-même a passé son enfance. Au cœur de ce quartier il y a la rue de Lyon et le champ des manœuvres. D’autres espaces sont aussi évoqués comme la prison, le palais de justice où le sort de Meursault sera dramatiquement scellé, de même que l’asile de  Marengo où sa mère est internée. Mais l’espace le plus significatif c’est la plage située dans la banlieue d’Alger où tout a commencé, la véritable histoire du roman. C’est le lieu du crime, de l’absurdité de la vie. Il rappelle par l’éclat du soleil sur la grève la réalité du crime de Meursault.

2.        Le temps

La première étape de l’histoire se déroule en 18 jours entre la réception, un jeudi, du télégramme qui annonce la mort de sa mère, et le dimanche du meurtre, probablement entre la fin du mois de juin et le début de juillet (cf. p.36).
La deuxième partie dure presque un an (de juillet à juin), y compris le temps du procès et de la détention en prison.
Le temps du roman est progressif dans l’ensemble, le narrateur ne revient jamais sur un évènement passé, il les fait se succéder dans une linéarité télégraphique.

    VII. LE STYLE

Camus utilise souvent la technique béhavioriste (ensemble de procédés visant à décrire que le comportement). On note également un certain lyrisme dans l’expression de la nature, de la mer ou du soleil. Il mêle le pastiche et la démystification pour tourner en ridicule la justice, la morale conventionnelle et l’administration.L’Étranger, se caractérise avant tout par un style extrêmement neutre, ce que l’on appelle une écriture «blanche» ou encore le style télégraphique. Dans le roman, le style est  méthodiquement descriptif. Le héros est en même temps narrateur et sa manière de raconter l’histoire, le récit qu’il fait des événements  ressemble au message télégraphique annonçant la mort de la mère.  Il n’y a pas de description trop longue ou de mots qui compliquent la lecture
Le niveau de langue utilisé par l’auteur est  la langue courante. La focalisation utilisée est la focalisation interne : la perception de l’univers du récit se fait par le regard ou la conscience de Meursault.Le narrateur ne rapporte que ce voit le personnage témoin, et ainsi personnages et narrateur se confondent.Les « je » sont prédominants au fil du récit et comme dans un discours on a l’utilisation de « aujourd’hui », « hier », « demain », « après demain », » pour le moment », qui nous situent par rapport à Meursault.
On remarque aussi l’utilisation du futur, de  l’imparfait et du passé composé. Ces temps permettent de mieux coller à l’histoire et ainsi éviter faire part de ses sentiment. Ce qui intéresse le narrateur c’est uniquement les évènements, ses pensées, et ses sensations qui à divers moments occupent sa conscience.

   VIII.  LE SENS DE L’ŒUVRE

« Le sentiment de l’absurdité au détour de n’importe quelle rue peut frapper à la face de n’importe quel homme ». Selon Camus, la société est sans valeur et fait vivre des hommes dans la répétition mécanique des gestes quotidiens qui mènent inévitablement vers la mort .D’où, ce n’est pas le monde qui est absurde en soi mais la relation que l’homme entretient avec lui alors à quoi bon vivre ? Si Camus accepte que la vie n’a pas de sens, il refuse cependant la démission. C’est-à-dire le suicide et le nihilisme. Il rejet également l’action révolutionnaire qui, selon lui conduit à l’oppression et au crime. Il prône plutôt la double exigence de la lucidité et de l’authenticité. Dans le comportement, il préconise la lutte et l’action et il demande de trouver une raison de vivre dans l’exercice de la solidarité
Meursault, un employé de bureau, y semble «!étranger!» à lui-même!; dépourvu de sentiments vis-à-vis des êtres et des situations, il agit comme de manière machinale. La lumière, le soleil, la chaleur semblent être la cause d’une soudaine précipitation des événements : sur une plage, à la suite d’une bagarre, il tue un homme de cinq coups de revolver sans pouvoir fournir lui-même de véritable raison à son acte. C’est précisément dans ce décalage entre l’individu et le monde que se situe la dimension absurde de la condition humaine.
Parlant de son roman camus dira : « J’ai résumé l’Etranger il y a très longtemps par une phrase dont je reconnaît paradoxale. "Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l’enterrement de sa mère risque d’être condamné à mort. Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu’il ne joue pas le jeu ». En ce sens il est étranger à la société où il vit, il erre en marge dans les faubourgs de la vie privée, solitaire. On aura cependant une idée plus exacte du personnage si l’on se demande pourquoi Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple, il refuse de mentir. Mentir ce n’est pas seulement dire ce qui n’est pas. C’est aussi surtout dire plus que ce qui est. Et en ce qui concerne le cœur humain, dire plus qu’on le sent. C’est ce que nous faisons tous les jours pour simplifier la vie. Meursault contrairement aux apparences ne veut pas simplifier la vie, il dit ce qu’il est, il refuse de masquer ses sentiments et aussitôt la société se sent menacée.

CONCLUSION

Lire L'Etranger, c'est un comme voir les deux faces de l'homme: celle qui accepte les incohérences et les écarts du monde, signe d'absurdité et de bizarrerie des comportement et réaction, et celle qui se rebelle contre certaines formes d'expression pour affirmer son altérité, son individualité, sa liberté. D'ailleurs dans son livre La chute Camus fait dire à son personnage, Clamence : "Je fabrique un portrait qui est celui de tous et de personne. Un masque en somme, assez semblable à ceux du carnaval...". On ne se tromperait donc pas en lisant dans l’étranger l’histoire d’un homme qui sans aucune attitude héroïque accepte de mourir pour une vérité jugée immorale par le monde qui l’environne.