L'homme a ri
Ah ! tu finiras bien par hurler, misérable !
Encor tout haletant de ton crime exécrable,
Dans ton triomphe abject, si lugubre et si prompt,
Je t'ai saisi. J'ai mis l'écriteau sur ton front ;
Et maintenant la foule accourt, et te bafoue.
Toi, tandis qu'au poteau le châtiment te cloue,
Que le carcan te force à lever le menton,
Tandis que, de ta veste arrachant le bouton,
L'histoire à mes côtés met à nu ton épaule,
Tu dis : je ne sens rien ! et tu nous railles, drôle !
Ton rire sur mon nom gaîment vient écumer ;
Mais je tiens le fer rouge et vois ta chair fumer.
Jersey, le 30 octobre 1852.
Encor tout haletant de ton crime exécrable,
Dans ton triomphe abject, si lugubre et si prompt,
Je t'ai saisi. J'ai mis l'écriteau sur ton front ;
Et maintenant la foule accourt, et te bafoue.
Toi, tandis qu'au poteau le châtiment te cloue,
Que le carcan te force à lever le menton,
Tandis que, de ta veste arrachant le bouton,
L'histoire à mes côtés met à nu ton épaule,
Tu dis : je ne sens rien ! et tu nous railles, drôle !
Ton rire sur mon nom gaîment vient écumer ;
Mais je tiens le fer rouge et vois ta chair fumer.
Jersey, le 30 octobre 1852.
Mon enfance
J'ai des rêves de guerre en mon âme inquiète ;
J'aurais été soldat, si je n'étais poète.
Ne vous
étonnez point que j'aime les guerriers !
Souvent,
pleurant sur eux, dans ma douleur muette,
J'ai trouvé
leur cyprès plus beau que nos lauriers.
Enfant, sur
un tambour ma crèche fut posée.
Dans un
casque pour moi l'eau sainte fut puisée.
Un soldat,
m'ombrageant d'un belliqueux faisceau,
De quelque
vieux lambeau d'une bannière usée
Fit les
langes de mon berceau.
Victor Hugo, Odes et ballades, 1826.
Fonction du poète
Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
ll est l’homme des utopies;
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C’est lui
qui sur toutes les têtes,
En tout
temps, pareil aux prophètes,
Dans sa
main, où tout peut tenir,
Doit, qu’on
l’insulte ou qu’on le loue,
Comme une
torche qu’il secoue,
Faire
flamboyer l’avenir !
Il voit, quand les peuples végètent !
Ses rêves, toujours pleins d’amour,
Sont faits des ombres que lui jettent
Les choses qui seront un jour.
On le
raille. Qu’importe ! il pense.
Plus d’une
âme inscrit en silence
Ce que la
foule n’entend pas.
Il plaint
ses contempteurs frivoles ;
Et maint
faux sage à ses paroles
Rit tout
haut et songe tout bas !
(…)
Peuples ! écoutez le poëte !
Écoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps
futurs perçant les ombres,
Lui seul
distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui
n’est pas éclos.
Homme, il
est doux comme une femme.
Dieu parle à
voix basse à son âme
Comme aux
forêts et comme aux flots.
Victor Hugo, Les Rayons et les
Ombres, 1840.
Ultima verba
Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre,
La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non !
Tandis que
tes valets te montreront ton Louvre,
Moi, je te
montrerai, César, ton cabanon.
Devant les
trahisons et les têtes courbées,
Je croiserai
les bras, indigné, mais serein.
Sombre
fidélité pour les choses tombées,
Sois ma
force et ma joie et mon pilier d'airain !
Oui, tant
qu'il sera là, qu'on cède ou qu'on persiste,
O France !
France aimée et qu'on pleure toujours,
Je ne
reverrai pas ta terre douce et triste,
Tombeau de
mes aïeux et nid de mes amours !
Je ne
reverrai pas ta rive qui nous tente,
France !
hors le devoir, hélas ! j'oublierai tout.
Parmi les éprouvés je planterai ma tente :
Je resterai proscrit, voulant rester debout.
Victor Hugo, Les Contemplations,
1856.
La retraite
Ce qu'on appelle nos beaux jours
N'est qu'un éclair brillant dans une nuit d'orage,
Et rien,
excepté nos amours,
N'y mérite
un regret du sage ;
Mais, que
dis-je ? on aime à tout âge :
Ce feu
durable et doux, dans l'âme renfermé,
Donne plus
de chaleur en jetant moins de flamme ;
C'est le
souffle divin dont tout l'homme est formé,
Il ne
s'éteint qu'avec son âme.
Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, 1820
Prière de l'indigent
Ô toi dont l'oreille s'incline
Au nid du pauvre passereau,
Au brin d'herbe de la colline
Qui soupire après un peu d'eau ;
Providence qui les console,
Toi qui sais de quelle humble main
S'échappe la secrète obole
Dont le pauvre achète son pain ;
Toi qui
tiens dans ta main diverse
L'abondance
et la nudité,
Afin que de
leur doux commerce
Naissent
justice et charité ;
Charge-toi
seule, ô Providence,
De connaître
nos bienfaiteurs,
Et de puiser
leur récompense
Dans les
trésors de tes faveurs !
Notre cœur, qui pour eux t'implore,
À l'ignorance est condamné ;
Car toujours leur main gauche ignore
Ce que leur main droite a donné.
Alphonse de Lamartine, Troisièmes méditations
poétiques, 1849.
Le désespoir
Sans t'épuiser jamais, sur toute la nature
Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure
Un bonheur absolu.
L'espace, le pouvoir, le temps, rien ne te coûte.
Ah ! ma
raison frémit ; tu le pouvais sans doute,
Tu ne l'as
pas voulu.
Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître ?
L'insensible
néant t'a-t-il demandé l'être,
Ou l'a-t-il
accepté ?
Sommes-nous,
ô hasard, l'œuvre de tes caprices ?
Ou plutôt,
Dieu cruel, fallait-il nos supplices
Pour ta
félicité ?
Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques,
1820.
À Némésis
Je n'ai rien
demandé que des chants à sa lyre,
Des soupirs
pour une ombre et des hymnes pour Dieu,
Puis, quand
l'âge est venu m'enlever son délire,
J'ai dit à
cette autre âme un trop précoce adieu :
"Quitte
un coeur que le poids de la patrie accable !
Fuis nos
villes de boue et notre âge de bruit !
Quand l'eau
pure des lacs se mêle avec le sable,
Le cygne
remonte et s'enfuit."
Honte à qui
peut chanter pendant que Rome brûle,
S'il n'a
l'âme et la lyre et les yeux de Néron,
Pendant que
l'incendie en fleuve ardent circule
Des temples
aux palais, du Cirque au Panthéon !
Honte à qui peut chanter pendant que chaque femme
Sur le front de ses fils voit la mort ondoyer,
Que chaque citoyen regarde si la flamme
Dévore déjà son foyer !
Honte à qui
peut chanter pendant que les sicaires
En secouant
leur torche aiguisent leurs poignards,
Jettent les
dieux proscrits aux rires populaires,
Alphonse de Lamartine, Odes politiques, 1830-1832.
À M. Félix Guillemardet sur sa
maladie
Jeune, j’ai partagé le délire et la faute,
J’ai crié ma misère, hélas ! à voix trop haute,
Mon âme
s’est brisée avec son propre cri !
De l’univers
sensible atome insaisissable,
Devant le
grand soleil j’ai mis mon grain de sable,
Croyant mettre un monde à l’abri.
Puis mon cœur, moins sensible à ses propres misères,
S’est élargi plus tard aux douleurs de mes frères ;
Tous leurs maux ont coulé dans le lac de mes pleurs,
Et, comme un
grand linceul que la pitié déroule,
L’âme d’un
seul, ouverte aux plaintes de la foule,
A gémi toutes les douleurs.
Saint-Point, 15
septembre 1837.
Alphonse de Lamartine, Recueillements poétiques.
Impromptu
Chasser tout
souvenir et fixer sa pensée,
Sur un bel
axe d'or la tenir balancée,
Incertaine,
inquiète, immobile pourtant,
Peut-être
éterniser le rêve d'un instant ;
Aimer le
vrai, le beau, chercher leur harmonie ;
Écouter dans
son cœur l'écho de son génie ;
Chanter,
rire, pleurer, seul, sans but, au hasard ;
D'un
sourire, d'un mot, d'un soupir, d'un regard
Faire un
travail exquis, plein de crainte et de charme
Faire une perle d'une larme :
Du poète ici-bas voilà la
passion,
Voilà son bien, sa vie et son
ambition.
Alfred de Musset, Poésies nouvelles, 1850.
Sonnet au lecteur
Jusqu'à
présent, lecteur, suivant l'antique usage,
Je te disais
bonjour à la première page.
Mon livre,
cette fois, se ferme moins gaiement ;
En vérité,
ce siècle est un mauvais moment.
Tout s'en
va, les plaisirs et les mœurs d'un autre âge,
Les rois,
les dieux vaincus, le hasard triomphant,
Rosafinde et
Suzon qui me trouvent trop sage,
Lamartine
vieilli qui me traite en enfant.
La
politique, hélas ! voilà notre misère.
Mes
meilleurs ennemis me conseillent d'en faire.
Être rouge
ce soir, blanc demain, ma foi, non.
Je veux,
quand on m'a lu, qu'on puisse me relire.
Si deux
noms, par hasard, s'embrouillent sur ma lyre,
Ce ne sera
jamais que Ninette ou Ninon.
Alfred de Musset, Poésies nouvelles, 1850.
A Madame G (Rondeau)
Dans dix ans
d’ici seulement,
Vous serez
un peu moins cruelle.
C’est long,
à parler franchement.
L’amour
viendra probablement
Donner à
l’horloge un coup d’aile.
Votre beauté nous ensorcelle,
Prenez-y garde cependant :
On apprend plus d’une nouvelle
En dix ans.
Quand ce
temps viendra, d’un amant
Je serai le
parfait modèle,
Trop bête
pour être inconstant,
Et trop laid
pour être infidèle.
Mais vous serez
encor trop belle
Alfred de Musset, Poésies nouvelles, 1850.
La maison du berger (I)
Si ton âme enchaînée, ainsi que
l'est mon âme,
Lasse de son boulet et de son
pain amer,
Sur sa
galère en deuil laisse tomber la rame,
Penche sa
tête pâle et pleure sur la mer,
Et,
cherchant dans les flots une route inconnue,
Y voit, en
frissonnant, sur son épaule nue
La lettre
sociale écrite avec le fer ;
Si ton corps frémissant des
passions secrètes,
S'indigne des regards, timide et
palpitant ;
S'il cherche
à sa beauté de profondes retraites
Pour la
mieux dérober au profane insultant ;
Si ta lèvre
se sèche au poison des mensonges,
Si ton beau
front rougit de passer dans les songes
D'un impur
inconnu qui te voit et t'entend,
Pars courageusement, laisse
toutes les villes ;
Ne ternis
plus tes pieds aux poudres du chemin
Du haut de
nos pensers vois les cités serviles
Comme les
rocs fatals de l'esclavage humain.
Les grands
bois et les champs sont de vastes asiles,
Libres comme
la mer autour des sombres îles.
Marche à
travers les champs une fleur à la main.
La Nature t'attend dans un
silence austère ;
L'herbe
élève à tes pieds son nuage des soirs,
Et le soupir
d'adieu du soleil à la terre
Balance les
beaux lys comme des encensoirs.
La forêt a
voilé ses colonnes profondes,
La montagne
se cache, et sur les pâles ondes
Le saule a
suspendu ses chastes reposoirs.
Le
crépuscule ami s'endort dans la vallée,
Sur l'herbe
d'émeraude et sur l'or du gazon,
Sous les
timides joncs de la source isolée
Et sous le
bois rêveur qui tremble à l'horizon,
Se balance
en fuyant dans les grappes sauvages,
Jette son
manteau gris sur le bord des rivages,
Et des
fleurs de la nuit entrouvre la prison.
Alfred de VIGNY, Les Destinées, 1864.
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