Souvenir de la nuit du 4
Victor Hugo évoque un évènement précis de la vie
politique : la répression
sanglante d'une révolte populaire suite au coup d'Etat
de Napoléon Bonaparte lIII
le 2 décembre 1851. Un grand nombre d'enfants ont été
fusillé sous ses ordres.
L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau1 bénit sur un portrait.
Une vieille grand-mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son œil farouche2 ;
Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
Il avait dans sa poche une toupie3 en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,
Disant : "Comme il est blanc ! approchez donc la lampe !
Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe !"
Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre ; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.
Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
L'aïeule cependant l'approchait du foyer,
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides4.
Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !
Victor Hugo, Les Châtiments, Livre II, 1853.
Rédige un paragraphe de commentaire pour montrer que le récit suscite
diverses émotions.
A la lecture de ce poème, le lecteur est animé par deux sentiments
distincts : la pitié et
la colère. Au début, il reçoit trop brutalement la
nouvelle de la mort d’un enfant par « deux balles ». Cela est
d’autant plus inacceptable
que le lieu où se trouve l’enfant évoque une atmosphère tranquille, en témoigne
l’énumération au vers 2. De plus, le
poète semble refuser de croire
à la mort de l’enfant, car le
portrait donne l’impression qu’il est vivant. On le voit dans les passages « sa
bouche… s’ouvrait », « son œil farouche », « ses bras…
semblaient demander des appuis », « réchauffer ses membres ». Le
jouet « une toupie » dans la « poche » de l’enfant rend la
scène encore plus triste. Par ailleurs, le caractère pathétique de la scène
est rendu par les exclamations de la vieille grand-mère ; « Comme il
est blanc ! », « Dieu ! », « Hélas ! ».
Enfin, la répétition de l’adjectif
« blanc » renforce cette idée d’innocence attachée à un enfant.