Adama Ndao, professeur de lettres modernes au lycée Ahoune Sané de Bignona, présentement au lycée Demba Diop de Mbour analyse ici ses lectures et des œuvres au programme dans l'enseignement du Sénégal. Abonnez-vous pour suivre les posts et l'actualisation des publications.
lundi 24 mars 2008
Comment lire et étudier un livre?
1. Présentation
- Titre : (A expliquer)
- Genre : (sa particularité)
- Auteur : (biographie)
- Edition :
- Date de parution : (et le contexte de publication)
- Nombre de pages :
- Nombre de chapitre :
2. Thèmes
3. Les personnages
Leur fonction (Qui est le personnage principal, les protagonistes ?), leur cadre de vie, leur caractère (quelles sont leurs idées ? Comment se comportent-ils ? Leur personnalité ?), leurs intentions (pour quelles raisons agissent-ils ainsi ?), leur évolution (Changent-ils ?)
4. L’espace
5. Le temps
6. Résumé
7. Le style et les techniques d’écriture
8. Appréciations personnelles
Ce que vous avez aimé....
Tel personnage est sympathique...ou antipathique
EXPOSE
1. lecture des documents
2. Sélection (tri)
3. analyse des documents
4. Groupement des informations
5. plan de l’exposé
6. Les thèmes fréquents :
A titre indicatif :
Généralités : Amour, Angoisse, Argent, Beauté, Campagne, Chômage, Enfance, Enfer, Engagement, Erotisme, Espoir, Exil, Exotisme, Expérience, Fantastique, Fête, Guerre, Inspiration, Liberté, Misère, Mort, Nature, Nuit, Paradis, Peur, Politique, Quotidien, Rêve, Richesse, Solitude, Souffrance, Suicide, Travail, Ville, Violence,
En littérature africaine : animisme, christianisme, colonialisme, communauté, condition féminine, conflit de générations, coutume, déracinement, émancipation, esclavage, faim, famille, femme, inégalité, initiation, injustice, islam, jeunesse, lutte des classes, mariage, misère, modernité, pauvreté, polygamie, préjugés, progrès, racisme, religion, révolte, sacrifice, superstition, tradition, travail, village, viol, violence, vol.
Les nouveaux contes d'Amadou Koumba de Birago Diop
Le Conte est un genre littéraire qui se retrouve dans toutes les couches sociales, et son origine est aussi inconnue que son auteur. Birago Diop, ce sénégalais à pu en recueillir auprès d'Amadou Koumba, les traduire en français puis les transcrire dans une écriture. Le succès des Nouveaux Contes se passe de commentaire. Et pour en cerner les contours, nous étudierons principalement la vie et l'œuvre de l'auteur, la structure et les thèmes, le cadre spatio-temporel et enfin la technique des contes dans ce recueil.
I. Vie et Œuvre de Birago Diop
1. Biographie de l'auteur
Né en décembre 1906 à Ouakam, Birago Diop fréquenta l'école coranique. Après sa première scolarité, et ne trouvant de bourse pour poursuivre ses études, il prend le risque d'hypothéquer sa maison familiale et se rendit à Toulouse puis à Paris où il retrouve le groupe de L'Etudiant Noir.
A son retour au bercail, il est affecté à Kaye au Mali, ce qui lui donne l'occasion de parcourir la brousse et de faire la rencontre d'Amadou Koumba, griot de la famille maternelle auprès de qui il recueillit beaucoup d'histoires.
Birago Diop est à la fois conteur et poète. Il est marqué par l'enracinement dans les valeurs culturelles ancestrales. De même, les traits des mœurs qui caractérisent ses personnages renvoient-ils à la réalité villageoise dans ce qu'elle a à la fois de particulier et d'universel.
Il mourut en 1989.
2. Son œuvre
Les contes classiques de l'Afrique comptent parmi eux les célèbres et incontournables œuvres de Birago Diop. Il publia en 1947 Les Contes d'Amadou Koumba, puis en 1958 il donne Les nouveaux Contes d'Amadou Koumba. Ils seront suivis de deux autres Les Contes et Lavanes et Contes d'Awa publiés respectivement en 1963 et 1977. Comme poètes on lui doit Leurres et Lueurs.
A travers son œuvre, on reconnaît bien le cadre africain de manière générale, mais surtout le style nègre dont Senghor parle assez souvent : l'asymétrie dans le rythme qui n'ennuie nullement le public du conte.
II. La structure et thématique de l'œuvre
Les Nouveaux Contes est constitué des treize (13) contes suivants : L'Os, Le Prétexte, La Roussette, Le Boli, Dof Diop, Khary-Gaye, Djabou Nd'aw, Samba-de-la-nuit, Le Taureau de Bouki, Les deux Gendres, Liguidi-Malgam, Bouki pensionnaire et la cuiller sale.
Quelques-uns sont résumés ci-dessous, et les thèmes qu'ils développent seront analysés au fur et à mesure.
L'Os : Dans ce conte, un homme, Mor Lame, à cause de sa gourmandise et de son ingratitude, finira par provoquer sa propre mort, car il ne voulait pas partager son "Tong-Tong" avec son "Bok M'baar" (un plus que frère de case) Moussa.
Le Prétexte : Il est dominé par deux thèmes : d'abord le mensonge ne dure pas se vérifie à travers le faux marabout Serigne Fall qui voulait profiter des largesses du riche et bon Mar Ndiaye. Celui-ci montre à son tour que la patience a des limites et qui va se débarrasser de son hôte encombrant, et ainsi que le murmure son Guéwel Mbaye : "Point n'est besoin d'un gros appât pour attraper une grosse bête" (p. 47)
Le Boli : Il met l'accent sur l'importance du respect à accorder à la tradition. Tiéni était le fils d'un vieux forgeron Noumouké-le-forgeron. Noumouké, devenu vieux posta sa statuette sacrée"le boli" près de son atelier et lui versait toujours une calebasse de lait avant de se mettre à l'œuvre. Du " boli" sortait une ombre sous forme de jeune et aidait le vieux dans la forge. Lorsqu'il Tiéni sortit de la case des hommes et qu'il reprit l'atelier de son père, au lieu que de continuer à satisfaire "le boli", il lui donnait des coups de marteau sue la tête. Un jour une vielle peule Débo, passa par l'atelier offrit du lait jeune homme (ombre du boli) qui la transforma dans le feu de la forge en la jeune qu'elle était. Son mari, averti vint à la forge mais trouve Tiéni, celui-ci le calcina. Et quand le roi voulut le tué, l'ombre du "boli" le sauva en ressuscitant le peul. Depuis Tiéni respecte "le boli".
Dof Diop : Né Moussa, il est idiot d'où le surnom "Dof Diop". Il reçut à la mort de son père une génisse, alors que tout l'héritage sera partagé par ses demi-frère Bouba, Baba et Bira. Dof Diop accusa le tamarinier d'avoir mangé l'animal qu'il lui vendait et l'abattit. Il trouve du trésor et s'en ouvrit à ses frères qui le prirent. Mais le Maure du roi sut l'histoire, mais il est tué par les trois frères. Dof les dénonça au Roi, néanmoins les frères avaient pris le soin d'enterrer un bouc blanc dans la fosse désigné par le fou. Le roi fut trompé et les fils du marabout Mor-Coki Diop s'en sortirent indemne.
Khary-Gaye : Il s'agit ici du thème de la mauvaise éducation et de ses conséquences. Elle finit par avoir des répercussions sur les enfants, et partant sur les parents : telle est la fille de Khary qui dévoila le grand secret du python. Pourtant, l'autre fils disait si on lui demandait "Kham" (Je ne sais pas) car, dit-on, "je ne sais pas n'avait jamais fait couper le cou à personne, ni mené quiconque dans une geôle (prison)" (p. 98) A sa fille qui avait dévoilé le secret, le Prince du Grand le Fleuve transformera en euphorbe (plante vivace et toxique) et pleurera toujours et pour un rien du tout ; alors que Khary, sa mère deviendra une tourterelle (oiseau comme le pigeon, au beau plumage) gracieuse et faible qui chantera sans cesse à cime des arbres.
Samba-de-la-nuit : Sept frères utérins, ayant sous-estimé leur cadet vont être sauvés par les pouvoirs mystiques de ce dernier quand ils rencontrèrent d'énormes difficultés durant leur voyage.
Les deux Gendres : C'est une vieille femme riche et généreuse qui donne se deux filles en mariage à Bouki et Gaïndé. Mais Bouki, par son ingratitude et sa gourmandise mangera le cheptel de la vieille mais sera puni par le coup de patte de Gaïndé le Lion. Ce qu'il faut retenir à travers ces deux animaux, ce sont les caractères humains qu'ils incarnent : Le lion est courageux, sincère et loyal envers sa belle-mère, l'hyène est fourbe (hypocrite), lâche et déloyal.
Liguidi-Malgam : Ce conte est une sorte de mythe fondateur, c'est-)-dire qu'il explique l'origine du village nommé Liguidi-Malgam. Nitjéma-l'Ancêtre en travaillant défonce une termitière et découvre de l'or et de l'argent, mais il se pose à lui un problème de cachette tant la quantité est grande et sa femme Noaga-l'Ancêtre est une langue pendue. Lapin-le-petit lui conseilla de se mettre dans la nasse et de se faire pêché puis d'accrocher la silure à l'arbre de Karité pour le chasser avec sa flèche devant sa femme qui, par ailleurs va l'aider d'abord à transporter tout le trésor à la maison. Lorsqu'elle a dénoncé son mari au roi Naba-le-chef, ce qu'elle a raconté lui a valu d'être traitée comme une folle, et exilée. "Nitjéma-l'Ancêtre prit une autre épouse, toute jeune, dont descendit Nitjéma-le-Vieux, et vint créer le village de Lguidi-Malgam."
La cuiller sale : Binta l'orpheline qui était maltraitée par sa marâtre était très malheureuse. Mais elle sera récompensée alors que sa demi-sœur qui joyeuse finira par mourir à cause de son manque d'éducation.
III. Temps et espace
1. Le temps
Le conte est atemporel. Autrement dit le temps de l'histoire est impossible à déterminer. Cependant on peut voir nettement qu'on a affaire à une époque qui appartient à un passé ancestrale pour ce qui concerne la naissance de ces contes. En effet ils permettaient alors à nos ancêtres de passer le temps et d'éduquer la population.
On suppose dons un monde dans un temps où les animaux en tout cas vivaient plus ou moins en harmonie et communiquaient avec les humains.
2. L'espace
La particularité du conte est que l'histoire qui y est narrée se déroule dans un lieu anonyme voire inconnu. Mais la couleur locale y est souvent très perceptible. Dans les nouveaux contes…, le cadre est souvent la maison familiale, et pour cause les thèmes sont liés à la vie quotidienne. Ainsi on a deux possibilités :
La maison : L'Os, Le Prétexte, Le Boli, Khary-Gaye, Samba-de-la-nuit,
La maison et la brousse : Dof Diop, Les deux Gendres, La cuiller sale, Le Taureau de Bouki, Liguidi-Malgam
IV. Technique du conte
Le conte obéit à une certaine forme et dans le fond favorise une liberté de composition que sa technique offre dont nous n'allons retenir que deux essentiels.
1. Les formules consacrées
Le conte est essentiellement oral, même si on le retrouve sous formes écrites dans les civilisations modernes. Aussi retrouve-t-on toujours les traces de l’oralité dans les contes transcrits. Le conte a ainsi une structure assez particulière qui le caractérise. Il peut être considéré comme un univers ; univers dans lequel on entre et on sort par des formules introductive et conclusive appelées communément protocole énonciatif.
Ce protocole énonciatif est une expression que le conteur prononce pour dire qu’il ouvre les portes d’un univers fictionnel. La formule est souvent "Il était une fois…" qui se traduit de différentes façons selon la langue africaine parlée. La fin aussi se marque par une formule de clôture du genre "Le conte tombe ainsi à la mer".
2. Le merveilleux dans Les nouveaux Contes
Le merveilleux mette l’accent sur des êtres surnaturels et sur des situations féeriques, où le mystique et le magique sont quotidiens et banals.
Dans ces contes on retrouve un unique, irréel où se côtoient humains, animaux et choses. La parole n'y est exclusivement un moyen d'expression pour l'homme, car il peut parler aux animaux et ces derniers lui répondent. Dans "Liguidi-Malgam", rat-le-le petit parle à Nitjéma et voici comment parlait Leuk-le-Lièvre à la vieille et riche Khoudia qui voulait des maris à ses deux filles :
"Mame (grand-mère), je peux trouver un mari à chacune de tes filles et le même jour, si tu le veux bien.
- Je t'en remercierais tout le restant de mes vieux jours, Leuk! Fit la vieille Khoudia." (p. 138)
La zoomorphisation où transformation des êtres humains en animaux est remarquable à travers les contes. C'est le cas dans Khary-Gaye où cette dernière deviendra Tourterelle, sa fille, euphorbe et le Python, un Prince par la magie de ce même serpent.
Voici comment se manifeste le magique dans le conte Samba-de-la-nuit, pour échapper à la vieille femme qui "soufflait et crachait du feu", " Samba-de-la-nuit prit le pagne qu'il avait volé à la vieille femme et l'étendit sur le Grand Fleuve. Et les eaux du Grand Fleuve s'écartèrent et Samba-de-la-nuit et ses frères passèrent entre les grandes eaux, qui se refermaient derrière eux" (p. 121). Tout cela fait penser à Moïse et le pharaon lorsqu'il traversa le fleuve.
Le merveilleux enfin se manifeste au niveau de la frontière entre la vie et la mort. En fait dans le conte cette frontière n'existe plus. Dans "le Boli" on peut redevenir jeune, ou revenir à la vie après s'être réduit en cendres. La vieille Débo (qui signifie fils ou fille, selon) va se rajeunir et son mari ressuscité et rajeuni grâce aux pouvoirs des fétiches du forgeron.
Conclusion
Les Nouveaux Contes ont une diversité étrange, car elle tient à la fois des thèmes, des actants en jeu, de la technique du conte qui est à cheval sur l'oralité et l'écriture dans laquelle se dilue toutes les ressources de la dramatisation avec des personnages très composites (mixtes, mêlés) : hommes, animaux et objets vivent en voisins.
jeudi 20 mars 2008
Style et techniques dans Les Bouts de bois de Dieu de Sembène Ousmane
Par delà l’histoire et les événements y découlant, Sembène Ousmane a su imposer son art dans l’écriture de ce roman en exploitant surtout le pittoresque et le folklore africains. Aussi quel que soit le sérieux de la situation, il parvient toujours à peindre des personnages se dépassant, dépassant leur situation tragique pour trouver la force de s’exprimer avec un humour et gaîté.
La fresque sociale qu’il crée ici donne une réalité cruelle à son récit. En face de cette population composite, on ne peut souscrire à la réalité, et à la vérité historique qu'il nous propose.
Le roman, pour être simple, est construit autour d’un personnage central qui est omniprésent sans être encombrant, puisque sa présence physique n’est pas très accrue, mais il est toujours là dans les idées de chacun, dans le cœur de certains, il influence les événements. L’auteur exploite ici la force de l’évocation d’un héros qui est attendu comme le messie ou dont le retour est espéré comme celui de l’enfant prodigue.
Dans son Etude sur le roman, dans la préface de son roman Pierre et Jean, Guy de Maupassant écrit que le style est la « manière unique, absolue, d’exprimer une chose dans toute sa couleur et son intensité » et il ajoute que « c’est la vérité, la variété et l’abondance des images… ». Et on compare souvent Les Bouts de bois de Dieu avec Germinal d’Emile Zola. Tant au niveau des thèmes qu'au niveau de l’écriture, imitant le style cinématographique, le roman de Sembène s’approche de celui du chef de file du courant naturaliste français.
1. La technique cinématographique
La description chez Sembène Ousmane introduit toujours un ou des personnages ou une action. Un décor panoramique est présenté puis se détache peu à peu, comme au cinéma, le personnage. Le début du roman illustre cela « Les derniers rayons du soleil filtraient entre les dentelures des nuages. Au couchant, des vagues de vapeurs se délayaient lentement (…) Au centre de la ceinture de collines, les concessions de torchis (…) les habitants de Bakayoko-so s’étaient réunis dans la cour (…) Assise un peu à l’écart… la vieille Niakoro… » (pp.13-14)
Le mouvement est le suivant : de l’immensité du ciel, puis le regard descend dans les collines, enuite dans les maisons, et puis sur un groupe de femmes, et de celui-ci se détache la vieille Niakoro.
Sembène est sobre dans la description, à peine mentionne-t-il l’essentiel pour la suite du récit : « Derrière la palissade qui la clôturait, on apercevait une grande baraque peinte en ocre qui reposait sur une élévation de briques. C’était la concession de Ndiayène où habitait Ramatoulaye, la maison mère de toute la lignée… » (p.90) Cette description insiste sur le dénuement de la famille, mais aussi sur une tradition qui respecte la maison des grands-parents. Ainsi faut-il s’expliquer les descriptions.
Il est remarquable le fait que la narration soit dominée par le dialogue des personnages, ce qui permet au narrateur de se cacher derrière ses personnages et se garder de commentaires, cela pour le grand bonheur du réalisme du témoignage.
2. La précision du vocabulaire et la couleur locale
Le mot chez Sembène est sacré. Il doit rendre toute sa valeur de la bouche qui le fait sortir. Voilà ce qui justifie le recours à la langue locale, ce qui donne au texte une couleur locale permettant au lecteur de ne pas ainsi se perdre dans ce va-et-vient entre les centres nerveux de la grève : Bamako – Thies – Dakar. Chaque ville développe ainsi des particularités langagières.
Des objets quotidiens aux titres de famille ou de respect en passant par des termes péjoratifs pour parodier le Blanc, les nombreuses intrusions des langues locales participent au pittoresque du récit. Ainsi le bambara de Bamako et le wolof de Thiès et Dakar complèteront-ils l’absence d’un vocabulaire français incapable de traduire l’idée et la portée du message des africains.
A Bamako : Soungoutou (jeune fille), moké, mama ou m’ba (grand-mère),
Bassi, fonio (54), Banco (terre argileuse) (22), Bara (danse) (28),
Bô c’est des excréments, thié (homme), macou (silence) en bambara
A Dakar : sabadord (75), catioupa (75), diouma, n’gounou, malo, rakal, m’bagne gathié, mbatous (écuelles) (93), n’dappe,
Interjections : kaye, ouaï, koni, dara !
Petite-mère (sœur de la maman) (102), Tâne, tapates (36)
Satire du Blanc : Mad’miselle Ndèye Touti (88), Missé pour dire Monsieur, piting pour putain (223),
Bilakoros (incirconcis) (358), Alcatis, tougueul (France)
A Thiès : moque pour pot, maka égal chapeau de paille,
Damels (anciens nobles du cayor, actuel Thiès), Cauris (292), cades (299), deumes sont des génies malfaisants (301), Gops (47), Samaras (37),
Autres particularités, celles de traduire les expressions locales en français. Mame sofi avait noué son mouchoir de tête amidonné à la « gifle tes beaux-parents » (p. 87), manières de laisser un bout du foulard pendre à côté. Avoir son mot à dire est devient « j’ai quelques pincées de sel à jeter dans la marmite… », dit Fa Keita (p.153). Les comparaisons vont aussi dans le même sens : « tu dors comme un coups de pilon » (p. 88) ; « Depuis hier on est secoué comme des graines sur un van », dit Ramatoulaye aux autres femmes après leur affrontement avec les alcatis (p. 168)
3. L’humour
L’humour est très présent dans le texte, et il est souvent fait par les personnages. Dès la page 46, le ton est annoncé par le narrateur lui-même qui dit que l’aveugle Maïmouna était « prisonnière de son infirmité, reine de son royaume de ténèbres ». A la page 324, Mame Sofi, l’amazone du groupe des femmes qui se sont attaquées aux milices déclare : « Poissons le matin, poissons le soir, si ça continue, un arbre à poissons va me pousser dans le ventre ? ». Parlant à Bakayoko de la femme de vie, Penda, Ndèye Touti rapporte que les femmes « disent qu’il n’y avait que le chemin de fer qui ne lui était pas passé dessus » (p. 342). Et elle ajoute, « Je me demande comment ? »
On peut lire à cet effet la scène des pages 40-41 où Samba disait que les cheminots « ont des noms à faire dérailler un train »
Ces quelques exemples permettent de saisir un peu l’influence du milieu sur l’individu, et par conséquent cela se traduit par l’utilisation du jargon du métier. Par endroits, on notera la fréquence du bruit par un champ lexical stupéfiant : on relève "tohu bohu" (51), "brouhaha" (57), "hourivari" (153) et tout cela va faire quand même un « un beau tumulte » (180), parce que le jeu en vaut la chandelle.
4. Le chant
Le chant est pourtant la seule chose à laquelle s’accroche les grévistes, et surtout les femmes. Maïmouna l’aveugle, quant à elle y recours plus souvent. A la page 46, il préfigure la bravoure des femmes dans la grève. Elles seront déterminantes à l’image de Goumba Ndiaye de la Chanson. Et à la fin du livre, c’est le même chant de Goumba qu’on entend, et cette dernière complainte est en fait une sagesse africaine sur la notion de l’honneur :
“Pendant des soleils et des soleils,Le combat dura.Goumba, sans haine, transperça ses ennemis.Il était tout de sang couvert.Mais heureux celui qui combat sans haine.”
Ce qu’il faut retenir à travers cette déconstruction de la langue, dénaturation ou tropicalisation de la langue, c’est que cela va de soi car, comme l’écrivait I. J. Calvet, « La langue est le Maquis du peuple ». Donc il est de bonne guerre que les africains s’approprient la langue française premier instrument de contestation d’une situation imposée.
mercredi 19 mars 2008
BIENTÔT : Les bouts de bois de Dieu, L'étrange destin de Wangrin, Les soleils des indépendances, L'aventure ambiguë, Peau noire, masques blancs,
Les bouts de bois de Dieu
Auteur: Sembene Ousmane
Première édition: 1960
Une certaine idée de la dignité
Le vieux mortier de la cour avait été un arbre; ses racines plongeaient encore dans la terre. L’arbre abattu, on avait creusé, évidé la souche, et de ses branches on avait fait des pilons. Les moulins ont leur langage, qu’ils soient à vent ou à eau; le mortier a aussi le sien. Sous les coups de la pileuse, il vibre et fait vibrer la terre tout autour de lui. Les voisins assis ou couchés sur leurs nattes sentaient cette trépidation qui se communiquait à leur corps. Mais maintenant le mortier est silencieux et les arbres tristes n’annoncent plus que de sombres journées.
Pour toute une génération d’africains, parler de Sembene Ousmane en littérature, c’est parler de Le Mandat; c’est un peu dommage. Car Les bouts de bois de Dieu est une oeuvre autrement plus complexe, plus dense, plus profonde, plus poétique, et plus achevée, une oeuvre plus travaillée dans presque tous ses détails.
L’histoire se base sur des faits authentiques. Nous sommes au tournant des années 50 et les travailleurs africains de la compagnie ferroviaire Dakar-Niger sont en pleine revendication. Ils exigent les mêmes avantages que leurs collègues français: allocations familiales, retraite satisfaisante, salaire égal à travail égal. On leur signifie alors plus ou moins clairement que les droits de l’Homme ne sont pas les droits de l’Homme de couleur. Ils se cabrent et insistent. La direction de la régie persiste dans son refus. L’affrontement est inévitable: c’est la grève.
Le patronat français, de connivence avec l’administration coloniale, est déterminée à briser cette grève, les premiers par nécessité économique, et les seconds par principe. Ils utilisent d’abord la force, puis changent de stratégie et optent pour des moyens plus retors: coupure d’eau dans la ville, suspension des salaires, c’est à dire coupure des vivres; avec leaders syndicalistes, ils alterneront la carotte (billets de banque) et le bâton (menaces de mort).
Mais ceux qui s’appellent eux-mêmes “Banty mam yall” -Les bouts de bois de Dieu- plient sans rompre, à Bamako, à Thiès, et à Dakar. Sembene Ousmane se propose donc de conter cette résistance qui très vite devient épique, tragique. Il raconte les forces qui lentement s’épuisent, le moral qui hausse et qui baisse, le bloc qui menace de s’effriter devant l’épreuve; il raconte les mille petits drames occultés par le drame, le courage et la lâcheté, l’égoïsme et la générosité, l’amour qui sans écho se transforme en haine. Il montre l’homme qui douloureusement affamé devient animal; la femme qui piétine sa vertu pour nourrir ses enfants; il montre comment les valeurs cardinales de la société deviennent impuissantes, inopérantes, et caduques lorsque le quotidien devient inhumainement difficile, et comment ces mêmes valeurs, paradoxalement, restent le refuge et le bouclier de cette même société devant l’adversité, devant le siège.
Les grèves à Dakar m’ont créé un vécu qui m’a nourri, mais c’est dans les années cinquante, à Marseille, au sein du Parti communiste, que j’ai découvert la littérature, le théâtre, les ciné-clubs. C’était la naissance de
Sembene Ousmane
L’intérêt du livre réside aussi dans sa description de l’Afrique occidentale sous domination française. L’arrogance des colons, la cuistrerie des dignitaire religieux, l’attendrissante maladresse de la jeune élite intellectuelle qui cherche la réponse à ses problèmes dans les paradigmes culturels de l’occupant, le quotidien d’une population infra-urbaine dont le pouls bat à la fréquence des va-et-vient du train: un saisissant cliché sociologique de l’Afrique d’après-guerre.
Le tour de force que réussit ici Sembene Ousmane, est l’un des plus difficile en littérature: créer une atmosphère, aller au delà de la chronique. Il est impossible de lire cette oeuvre sans sentir augmenter une certaine pression, vers une explosion dont on ignore la nature mais que l’on sait inévitable. Impossible aussi de ne pas s’incliner devant la profondeur des profils psychologique des acteurs, devant leur diversité, et devant leur portée symbolique. Difficile, très difficile, de ne pas être ébloui par la puissance poétique du style et par la précision descriptive de l’auteur.
Et si l’on saisit l’esprit de l’oeuvre, on comprendra que Sembene Ousmane n’a point voulu écrire un larmoyant plaidoyer de plus: ce qu’il a voulu faire, ce qu’il a brillamment réussi, c’est de peindre le portrait d’hommes et de femmes ordinaires qui ont compris qu’il faut toujours se battre pour ses droits, quel qu’en soit le sacrifice. Non pas se battre contre l’autre, mais se battre pour soi. Car, dit la légende,
“Pendant des soleils et des soleils,
Le combat dura.
Goumba, sans haine, transperça ses ennemis.
Il était tout de sang couvert.
Mais heureux celui qui combat sans haine.”
Amadou Hampaté Ba
L’étrange destin de Wangrin
Auteur: Amadou Hampaté Bâ
Première édition: 1973
Prix littéraires: Grand Prix littéraire de l'Afrique Noire 1974
Voir aussi sur iphri.net: Contes initiatiques peuls, Amadou Hampaté Ba
Les trois sangs et la mort
“Espèce de sale nègre! Tu as gagné, mais tu me paieras cela un jour. Qu’il ne sorte jamais de ta mémoire que partout dans le monde où je te rencontrerai, je t’abattrai comme un chien. Mais je te fais trop d’honneur en te comparant à un chien. Cet animal ne trahit jamais son maître ou son bienfaiteur, alors que toi, tu ne mords que la main qui t’a nourri. Salaud !
- Partout où vous me rencontrerez, monsieur le comte, répondit Wangrin, je serai sur mes gardes et saurai me défendre tout aussi énergiquement.”
Bien étrange en effet, le destin qui fut celui de Wangrin.
En 1927, Amadou Hampaté Bâ est un jeune fonctionnaire de l’administration coloniale française. Il se rend dans la ville de Dioussoula pour y effectuer une mission, et un vieil ami de sa famille lui offre généreusement l’hospitalité. C’était un ancien interprète de l’administration coloniale qui avait démissionné de ses fonctions, et avait réussi à amasser une véritable fortune en s’adonnant au commerce.
Un jour, il dit au jeune Amadou: “Mon petit Amkoullel, autrefois tu savais bien conter. Maintenant que tu sais écrire, tu vas noter ce que je te conterai de ma vie. Et lorsque je ne serai plus de ce monde, tu en feras un livre qui non seulement divertira les hommes, mais leur servira d’enseignement.” Il imposa toutefois une condition: “Tu utiliseras l’un de mes noms d’emprunts, celui que j’affectionne le plus: Wangrin.”
Ainsi donc, pendant trois mois, trois heures par jour, Wangrin raconta sa vie à son “petit Amkoullel”. Quarante cinq ans plus tard, et nous sommes déjà dans les années 1971-1972, Amadou Hampaté Bâ décide qu’il est l’heure de respecter sa promesse. Il rassemble ses notes, celles prises auprès de Wangrin ainsi que celles prises auprès de dizaines d’autres témoins ou acteurs de ses aventures, et il rédige un livre, L’étrange destin de Wangrin. En 1974, ce livre reçoit la plus haute consécration littéraire en Afrique, le Grand Prix littéraire d’Afrique Noire.
Et ce livre est tout simplement incroyable. Si Amadou Hampaté Ba n’eut été un homme à la probité inattaquable, à l’honnêteté éprouvée, on l’aurait sans doute accusé d’avoir inventé toute cette histoire du début à la fin. Certains ont d’ailleurs franchi ce pas, tant l’étrangeté du destin de Wangrin est hallucinante, hors du commun, extraordinaire. Mais en fin de compte, il faut heureusement s’y résoudre, ce livre est bel et bien une biographie: tous les personnages et tous les faits rapportés sont absolument authentiques.
J’ai donc fidèlement rapporté tout ce qui m’a été dit de part et d’autre dans les termes mêmes qui furent employés. Je n’ai modifié - à quelques exceptions près- que les noms propres des personnes et des lieux pour mieux respecter l’anonymat souhaité par Wangrin.
Amadou Hampaté Bâ
Wangrin avait choisi dès sa prime jeunesse de se mettre sous la protection du Dieu Gongoloma Sooké, le Dieu des contraires et de la ruse dans la mythologie Bambara. Toute sa vie il lui sera fidèle, et c’est le moins qu’on puisse dire. Car Wangrin n’aura de cesse d’escroquer, de tromper, de flouer, de gruger, de mystifier tous ceux qui se mettront sur le chemin de son ambition démesurée. Que ce soit Racoutié dont il prendra la juteuse place d’interprète au prix de magouilles sans nom, que ce soit le très distingué Comte de Villermoz qu’il emberlificotera dans du faux en écriture, que ce soit Romo qu’il poussera pratiquement au suicide à force de tours aussi pendables les uns que les autres, ou même que ce soient les dizaines de commerçants, administrateurs, hommes, femmes et enfants qu’il roulera sans scrupule dans la farine, les victimes de Wangrin s’accorderaient toutes à dire que c’était une fripouille, un effronté, un imposteur, et un ingrat.
Mais si Wangrin était féroce et impitoyable avec les riches, c’était aussi paradoxalement un homme au grand coeur avec les pauvres et les nécessiteux, un homme très attaché au code d’honneur de la noblesse Bambara. Wangrin était bel et bien à l’image son Dieu tutélaire Gongoloma Sooké, c’est à dire un être ambivalent, à la fois généreux et avare, désintéressé et âpre au gain, incrédule et superstitieux, impitoyable et miséricordieux, si riche qu’en pleine Afrique coloniale il eut des employés français et si pauvre qu’il en vint à vivre de vol à la tire dans les marchés. Oui, nul doute possible, le destin de Wangrin fut en effet bien étrange.
Amadou Hampaté Bâ nous présente donc ici une oeuvre d’une valeur littéraire immense. L’étrange destin de Wangrin est en fait sa seule et unique incursion dans le domaine romanesque, puisque son oeuvre n’était riche que d’essais (biographiques, historiques et religieux), de monographies et de contes. Le style adopté est une caractéristique de l’auteur: celui du conte, bien sûr, et là justement se trouve l’enchantement, transformer une vie en un conte sans travestir l’authenticité des faits.
L’intérêt de ce livre se trouve aussi dans sa dimension humaine et sociale, puisque l’auteur nous fait redécouvrir la société et les moeurs de l’Afrique occidentale du début du siècle. Et par dessus tout, on perçoit de manière tragiquement aiguë le rôle fondamental de cette littérature orale dont Hampaté Bâ s’est fait le plus ardent défenseur. Combien de destins extraordinaires, de vies et de faits historiques hautement instructifs sont à jamais passés dans l’oubli à cause d’une chaîne de transmission orale brisée? On frissonne de penser que cet oubli aurait pu ensevelir à jamais l’histoire de la vie d’un personnage aussi haut en couleurs que Wangrin.
Wangrin, cet homme qui, pour s’être mesuré aux trois sangs, permet à la littérature africaine de s’enorgueillir d’un chef-d’oeuvre en tous points singulier.
Les soleils des indépendances
Ahmadou Kourouma
Les soleils des indépendances
Auteur: Ahmadou Kourouma
Première édition: 1968
Voir aussi sur iphri.net: En attendant le vote des bêtes sauvages, Monnè, outrages et défis
Le soleil, l'honneur et l'or
Bâtard de griot! Plus de vrai griot; les réels sont morts avec les grands maîtres de guerre d’avant la conquête des Toubabs. Fama devait prouver sur place qu’il existait encore des hommes qui ne tolèrent pas la bâtardise. A renifler avec discrétion le pet de l’effronté, il vous juge sans nez.
Fama se leva et tonna à faire vibrer l’immeuble. Le malingre griot, décontenancé, ne savait plus par quel vent se laisser balancer, il demandait aux assis d’écouter, d’ouvrir les oreilles pour entendre le fils des Doumbouya offensé et honni, totem panthère, panthère lui-même et qui ne sait pas dissimuler furie et colère. A Fama il criait:
- Vrai sang de maître de guerre! dis vrai et solide! dis ce qui t’a égratigné! explique ta honte! crache et étale tes reproches!
Enhardi par le trouble du griot, Fama se crut sans limites; il avait le palabre, le droit et un parterre d’auditeurs. Dites-moi, en bon Malinké que pouvait-il chercher encore?
“Les Soleils des Indépendances était avant tout un roman de circonstances. J’avais des amis, des camarades, en prison. J’ai voulu écrire quelque chose pour témoigner”.
Lorsque Ahmadou Kourouma veut publier son premier roman, il a déjà la quarantaine et c’est un parfait inconnu. Il soumet d’abord son manuscrit à des éditeurs français. Mais ces indélicatesses de langage… La langue française corrompue par les tournures, les insuffisances du parler Nègre… Pouah! A la poubelle. C’est donc de l’autre côté de l’atlantique, au Canada plus précisément, que le livre sera édité pour le première fois. Trente-huit ans plus tard, Les soleils des indépendances est devenu un classique de la littérature africaine et un considérable succès en librairie, vendu à près de 200 000 exemplaires.
Le personnage central du livre s’appelle Fama, Fama Doumbouya, “Vrai Doumbouya, père Doumbouya, mère Doumbouya, dernier et légitime descendant des princes Doumbouya du Horodougou, totem panthère.” C’est un authentique prince Malinké né dans l’or, le manger, l’honneur et les femmes; “éduqué pour préférer l’or à l’or, pour choisir le manger parmi d’autres, et coucher sa favorite parmi cent épouses”. Mais voilà: les soleils qui brillent maintenant sont ceux des indépendances -“Bâtards de bâtardise !”- et non ceux des Rois-conquérants Malinkés; et en conséquence, le totem panthère doit faire bande avec les hyènes pour écumer les cérémonies et vivre pratiquement d’aumônes.
A ses côtés, malgré sa disgrâce, sa femme Salimata lui reste fidèle, le nourrissant comme elle peut, et l’enivrant de sa “senteur de goyave verte”. Mais le foyer est en crise, le quotidien est monotonement difficile, et rien n’indique que cela puisse changer. Tout a pourtant été tenté. Mais les marabouts n’arrivent pas à infléchir les augures funestes, les mânes des ancêtres n’agréent pas les sacrifices, et Allah (qui n’est pas obligé) reste sourd aux prières.
Las de ce quotidien à la fois infâmant et improductif, las de cette “vie de bâtardise”, Fama saute sur la première occasion pour retourner sur ses terres, à Togobala dans son Horodougou natal. Oui, là-bas, on l’appelle encore Maître, là-bas il commande encore, là-bas ces maudits soleils des indépendances sont éteints, et seuls brillent les soleils des Princes de sang Malinkés. A Togobala, pense-t-il à haute voix, il y a encore des serviteurs fidèles aux Doumbouya, comme Balla par exemple, le vieux cafre affranchi, un fétichiste mécréant qui ne courbe aucune des 5 prières quotidiennes dues à Allah (mais peu importe). Oui, à Togobala, la “bâtardise” des indépendances sera sans doute pulvérisée, balayée, soufflée (“Merci! Merci à tous!”), car n’y vivent que des hommes d’honneur qui parlent pour ne jamais se dédire, des Maîtres de Guerre “sexués avec du rigide”.
Or, voici: Le Horodougou est dépeuplé, vide, sa terre est sèche, dure et infertile. Fama ne règne en fait que sur des vieillards, sur des enfants, sur des éclopés et sur des perclus, tous aussi affamés les uns que les autres et voyant en lui le salut, la fin du calvaire. Décidément, ces maudits soleils de indépendances le suivront donc partout? La réponse est sans conteste oui, mais s’en plaindre ouvertement et trop souvent peut coûter cher, Fama s’en rendra compte à ses dépends. Au bout des épreuves, sortira un Fama totalement différent.
Les soleils des indépendances est donc un roman qui décrit plusieurs réalités: l’effondrement des structures traditionnelles après la colonisation, l’appauvrissement accéléré des populations en zones rurales et infra-urbaines, et surtout la grande désillusion qu’ont causé les indépendances. Grande désillusion au niveau des espoirs d’amélioration du niveau de vie, et surtout grande désillusion au niveau des libertés politiques.
S’il est un aspect qui a particulièrement frappé les critiques lors de la sortie du livre, c’est bel et bien le style adopté -ou plutôt créé- par Kourouma. Très cru et même parfois violent, le verbe de Kourouma refond la langue dans un moule qui lui est étranger, ce qui donne un résultat qui enchante les uns tandis qu’il désillusionne les autres (qui sont très largement minoritaires, il faut le dire).
Le Soleil des Indépendances, quand il est sorti, a failli recevoir le prix des lectrices de Elle. Deux membres du jury s’y sont très vivement opposées. Je les ai rencontrées et elles m’ont dit que leur refus provenait de ma façon de traiter la langue française. Or, c’est peut-être aussi pour cette raison que le roman a rencontré un tel succès en Afrique. Il y avait une forme nouvelle.
Ahmadou Kourouma
Dans tous les cas, il est admis que Les soleils des indépendances” est un pierre angulaire dans la littérature africaine, car c’est l’une des premières oeuvres à prendre sa liberté par rapport à l’orthodoxie linguistique occidentale, à contre-courant des auteurs africains les plus respectés et les plus célébrés de cette époque, dont l’obsession était très souvent de prouver aux ex-colons qu’ils dominaient leur langue. Avec ce roman une nouvelle ère s’est ouverte, une ère de langue réinventée, faite de liberté de ton dans la forme et d’engagement réel dans le fond.
“Le soleil, l’honneur, et l’or”: telle était la devise des Princes de sang Malinkés. L’or, n’en parlons plus, il a changé de mains. L’honneur? Foulé au pied par d’invengeables monnew, des outrages qui ne méritent même pas de nom, car indicibles. Et le soleil… Ah, le soleil… C’est bel et bien tout ce qu’il nous reste.
L’aventure ambiguë
Cheikh Hamidou Kane
L’aventure ambiguë
Auteur: Cheikh Hamidou Kane
Première édition: 1961
Prix littéraires: Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire 1962
Réflexions philosophiques sur l'identité
Le fou se tut. Le maître, prenant appui sur un coude, se dressa et vit qu’il pleurait. Le maître s’assit alors tout à fait et attirant le fou, l’obligea à s’adosser sur sa poitrine, la tête du fou au creux de son épaule. De sa main nue, il essuya les larmes de l’homme, puis, doucement, se mit à le bercer.
- Maître, je voudrais prier avec toi, pour repousser le surgissement. De nouveau le chaos obscène est dans le monde et nous défie.
Voici donc la pierre philosophale de la littérature classique africaine. Plein de mesure et de pudeur, éclatant de pureté et d’austérité dans le verbe, le chef d’oeuvre de Cheikh Hamidou Kane nous invite à une profonde réflexion philosophique sur l’identité culturelle.
Le livre retrace à la fois l’itinéraire d’une personne et celui de tout un peuple ; à la fois la quête spirituelle de Samba Diallo, et la crise existentielle qui frappe tous les Diallobés. Ceux-ci sont des musulmans depuis des temps immémoriaux, et l’érudition pour eux signifie la parfaite maîtrise du Coran et des préceptes de l’Islam. Samba Diallo y aspire, à cette érudition, et comme tous les enfants de l’aristocratie, il fait ses classes chez le plus grand Maître du pays, le guide spirituel de tous les Diallobés, un ascète, un mystique, un saint qui ne vit que par et pour Dieu.
Mais arrive l’école occidentale, et avec elle, la grande question : doit-on abandonner l’école coranique, celle qui a instruit d’innombrables générations de Diallobés? L’instruction froide mais si pratique qu’apporte la nouvelle école, vaut-elle l’école de vie et de valeurs qu’elle remplacerait alors ? Les Diallobés n’arrivent pas à trancher. Ils se tournent vers leur Roi, qui se tourne vers le Maître, qui se tourne vers Dieu, qui ne répond pas.
Et Samba Diallo se penchera alors lui-même sur toutes ces questions, de l’école coranique où sous la sévérissime férule du Maître il apprendra à se griser de
Dans «L’aventure ambiguë», un certain nombre de questions avaient été posées. Entre autres, le héros se demandait comment on pouvait vaincre sans avoir raison, en pensant à la défaite de l’homme noir par l’homme blanc, le colonisateur. Il ne comprend pas comment cette grande injustice a pu avoir lieu. Une autre question est de savoir si on peut apprendre sans oublier. Est-ce qu’on peut apprendre des choses nouvelles sans oublier ce qu’on était, ce qu’on savait déjà…
Cheikh Hamidou Kane
Cheikh Hamidou Kane soulève avec ce livre plusieurs questions particulièrement pertinentes sur le devenir d’une génération hybride, déchirée entre plusieurs cultures; peut-être pourra-t-on au plus lui reprocher de parler de la culture islamique comme si elle était intrinsèquement africaine. La problématique soulevée était déjà en 1960 d’une brûlante actualité. Telle est la force des oeuvres intemporelles, transcender les générations tant que les thèmes cruciaux abordés n’ont pas été solutionnés: « Il arrive que nous soyons capturés au bout de notre itinéraire, vaincus par notre aventure même. Il nous apparaît soudain que, tout au long de notre cheminement, nous n’avons pas cessé de nous métamorphoser, et que nous voilà devenus autres. Quelques fois la métamorphose ne s’achève pas, elle nous installe dans l’hybride et nous y laisse. Alors nous nous cachons, remplis de honte.» L’aventure ambiguë devient alors un livre-miroir, et Samba Diallo n’est en fait que le reflet de l’africain contemporain qui lit le fil de sa réflexion.
Le style de Cheikh Hamidou Kane est, on l’a dit mille fois, essentiellement dépuré. Partout, le mot juste; pas d’artifices, nulle surcharge. L’association de l’esprit de l’œuvre (qui est fortement teinté de mysticisme religieux) avec ce style éthéré donne une sensation presque enivrante d’extrême dépouillement, de détachement de la contingence matérielle. Il en a résulté une oeuvre culte dont la valeur littéraire et la portée philosophique sont pratiquement insondables.
Un roi, une reine (
Car de nouveau, le chaos obscène est dans le monde et nous défie.
Peau Noire, Masques Blancs
Frantz Fanon
Peau Noire, Masques Blancs
Auteur: Frantz Fanon
Première édition: 1952
De l'aliénation mentale du Noir et du Blanc
Les Nègres, eux, ont la puissance sexuelle.
Pensez donc ! Avec la liberté qu’ils ont, en pleine brousse ! Il paraît qu’ils couchent partout, et à tout moment. Ce sont des génitaux. Ils ont tellement d’enfants qu’ils ne les comptent plus. Méfions-nous, car ils nous inonderaient de petits métis.
Décidemment tout va mal…
Le gouvernement et l’Administration assiégés par les Juifs.
Nos femmes par les Nègres.
Peau Noire, Masques Blancs de Frantz Fanon dépeint une réalité dichrome, blanche et noire, ou plutôt, blanche et non-blanche, ce qui revient exactement au même dans la civilisation occidentale.
Dès le départ, l’auteur prévient: “Ce que nous voulons, c’est aider le Noir à se libérer de l’arsenal complexuel qui a germé au sein de la situation coloniale.” C’est le psychiatre qui parle: ici donc, point de lieux communs, le discours se situe pour l’essentiel dans le cadre de l’analyse objective, dans celui de l’étude clinique.
“L’essentiel n’est pas d’accumuler les faits, des comportements, mais de dégager leur sens”, ajoute-t-il plus loin. Même s’il intègre plusieurs éléments subjectifs en parlant à la première personne et en s’appuyant sur certaines expériences personnelles, Frantz Fanon a ici l’ambition d’être méthodologiquement rigoureux, et il se focalisera sur ce rapport bidirectionnel et ô combien conflictuel : Le Nègre et le Blanc ; Le Blanc et le Nègre.
Le Nègre et le Blanc…
Fanon à ce sujet est formel: “Le Noir veut être comme le Blanc. Pour le Noir, il n’y a qu’un destin. Et il est Blanc.” Les trois premiers chapitres de son essai se focaliseront sur le pourquoi et le comment de cet état de choses, du point de vue psychologique. Il commencera par le thème du Noir et du langage, en montrant que chez l’antillais en particulier, la maîtrise parfaite de la langue française est très souvent considérée comme un ascenseur vers la blancheur, un pas en avant vers la civilisation. Il montrera aussi que la sexualité interraciale est un autre ascenseur du même type, autant pour les femmes que pour les hommes.
Fanon analyse aussi, fort pertinemment, le comportement du Noir face au problème racial: “Le complexe de supériorité des Nègres, leur complexe d’infériorité ou leur sentiment d’égalité sont conscients“. Dans la même lancée, Fanon tient à préciser que “Si la structure psychique se révèle fragile, on assiste à un écroulement du Moi. Le Noir cesse de se comporter en individu actionnel. Le but de son action sera Autrui (sous la forme du Blanc).” Car en effet, si certains succombent à la pression sociologique ambiante qui voit en la couleur blanche la normalité, ceux qui cherchent à se délivrer de cette aliénation –indépendamment de la manière- ne peuvent le faire que par un processus conscient, dont le point focal sera le Blanc.
“Le Noir a deux dimensions. L’une avec ses congénères, l’autre avec le Blanc. Un Noir se comporte différemment avec un Blanc et avec un autre Noir. Que cette scissiparité soit la conséquence de l’aventure colonialiste, nul doute… Qu’elle nourrisse sa veine principale au coeur des différentes théories qui ont voulu faire du Noir le lent acheminement du singe à l’homme, personne ne songe à le contester. Ce sont des évidences objectives, qui expriment la réalité. ”
Frantz Fanon
Le Blanc et le Nègre…
“Tiens, un Nègre !”, voici l’une des réactions les plus fréquentes, voir le Nègre comme une bizarrerie, une anomalie intrigante mais somme toute inoffensive. Et surtout comme un grand enfant: “Un Blanc s’adressant à un Nègre se comporte exactement comme un adulte avec un gamin, et l’on s’en va minaudant, susurrant, gentillonant, calinotant”. Au second degré, Fanon montre qu’en fait cette infantilisation du Nègre est une réaction de défense, car la réalité, selon lui, est que “Le Nègre est un objet phobogène, anxiogène”. En effet, et plusieurs cas cliniques soigneusement choisis pas l’auteur le démontrent, le Nègre est générateur d’anxiété, de phobies dans le subconscient du Blanc. A quoi pense un Nègre? Comment se sent-on quand on est Nègre ? Que veulent-ils? Qui sont-ils? Autant de questions qui forment un corpus qui obsède, qui dérange.
En conséquence, dans un processus de négativation de l’obsession, “L’archétype des valeurs inférieures est représenté par le Nègre”. Plus précisément, “En Europe, le Nègre a une fonction: celle de représenter les sentiments inférieurs, les mauvais penchants, le côté obscur de l’âme. Dans l’inconscient collectif de l’homo occidentalis, le Nègre, ou si l’on préfère la couleur noire, symbolise le mal, le péché, la misère, la mort, la guerre, la famine.” Et de cette phobie du noir, du Nègre, naît la négrophobie collective, inconsciente, institutionnelle, mais aussi la peur physique: pour le Blanc, et Fanon est catégorique, “Le Nègre représente le danger biologique”. Parce qu’il menace de polluer, de corrompre, d’ensauvager la race blanche, de faire régresser l’Humanité (blanche, bien sûr).
Depuis Freud, la psychanalyse à aussi appris à intégrer l’inquiétude sexuelle dans ses diagnostics. Et selon Fanon, la négrophobie possède une composante sexuelle très forte, prédominante même: “C’est que la négrophobe n’est qu’une partenaire sexuelle putative, - tout comme le négrophobe n’est qu’un homosexuel refoulé.” On rentre encore ici dans l’univers complexe de la sexualité interraciale, dont Fanon essaie de nous donner les clés: “Le Blanc est persuadé que le Nègre est une bête; si ce n’est pas la longueur du pénis, c’est la puissance sexuelle qui le frappe”. Ici, le Blanc obéirait selon lui à des sentiments très troubles, d’impuissance et d’infériorité sexuelle, quand ce ne sont tout simplement pas des sentiments de nature incestueuse.
Plus de cinquante années ont passé depuis la première publication de cet essai, et il est évident qu’une recontextualisation de l’analyse de Fanon est nécessaire. On ne peut aussi que constater la limitation intrinsèque de cette analyse au cas d’école des Noirs antillais et des Blancs français pour l’essentiel, ce que l’auteur reconnaît d’ailleurs sans peine. Certains points de la conclusion de l’œuvre peuvent aussi laisser quelque peu perplexe, car avec du recul on les sent en déphasage avec les conclusions logiques que l’on devrait tirer des analyses du livre. Frantz Fanon corrigera d’ailleurs ces contradictions apparentes dans son dernier livre, Les damnés de la terre.
Mais il n’en demeure pas moins que Peau Noire, Masques Blancs reste l’un des classiques les plus importants de la littérature négro-africaine, un livre clé pour comprendre les mécanismes de l’aliénation psychologique des africains et des afro-descendants au bout de 400 ans de traumatismes.
POINT DE DEPART : Citations expliquées par le prof
Citations expliquées par le prof
Extrait de Fureur et mystère de René Char
« Ah ! beauté et vérité fassent que vous soyez présents nombreux aux salves de la délivrance !» clôt le poème « Chant du refus ».
Explication : Le poème est à la fois esthétique (beauté) et engagement (vérité), aussi son triomphe est inévitable pour délivrer la société de la servitude par le refus de l’inacceptable.
Il dit parfois que la poésie et la vérité signifient la même chose, elles sont « synonymes ».
Le poème « Partage formel » est constitué d’aphorismes dont voici quelques-uns :
« Le poète transforme indifféremment la défaite en victoire, la victoire en défaite, empereur prénatal seulement soucieux du recueil de l’azur »
et
« Magicien de l’insécurité, le poète n’a que des satisfactions adoptives »
Explication : Voilà le poète qui installe toujours l’insécurité qui pousse à la réflexion, et par conséquent à la révolte. La quiétude mène vers la torpeur, vers l’engourdissement.
« Je suis le poète, meneur de puits tari que tes lointains, ô mon amour, approvisionnent »
et
« Le poème est l’amour réalisé du désir demeuré désir »
Explication : Le poète est un éternel insatisfait, il recherche toujours la perfection, l’idéal pour lui et les siens. C’est comme l’amour ou le désir son pendant, on en a jamais assez et on est toujours en quête et c’est ce qui rend le goût appétissant, et motive le travail.
« Le poème émerge d’une imposition subjective et d’un choix objectif »
Explication : Qu’est-ce qu’un poème ? Telle est la question à laquelle veut répondre ici le poète Char. En effet, le poète n’a pas besoin qu’on lui intime l’ordre de réagir. Il suit sa conscience, qui est d’ailleurs celle de la masse, qui lui impose un combat contre l’inacceptable, l’injuste, l’anormal. Et le combat n’est pas personnel, il un choix délibéré du poète de le faire dans la réalité, et s’il peut utiliser la plume comme arme, rien ne lui empêche de prendre les armes pour combattre. Il n’y a point d’incompatibilité, mais complémentarité. C’est pourquoi il écrit dans Feuillets d’Hypnos, « Le poète ne peut pas longtemps demeurer dans la stratosphère du Verbe ». Donc son destin est, à terme, l’engagement par les armes. Et René Char combattra dans le maquis durant la deuxième guerre mondiale, il écrit la plupart de ses poèmes dans les tranchées.
Cela rejoint l’idée de Victor Hugo dans Odes et Ballades publié en 1826 : « J'ai des rêves de guerre en mon âme inquiète; - J'aurais été soldat, si je n'étais poète »
« Le poète est la genèse d'un être qui projette et d'un être qui retient. A l'amant, il emprunte le vide; à la bien-aimée, la lumière »
Citations libres
« Je ne sais en quel temps c'était, je confonds toujours l'enfance et l'Eden - Comme je mêle
« Oui Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques»
Hosties noires, “Prière de paix” (1948)
Léopold Sédar Senghor
Le roman
Idée : Le roman allie réalisme et naturalisme « Le romancier est fait d'un observateur et d'un expérimentateur » Le Roman expérimental
Emile Zola
Idée : Le roman doit être réaliste, il reproduit sans complaisance la réalité. « Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route » Le Rouge et le Noir (1830)
Henri Beyle, dit Stendhal
Idée : Roman et histoire, cette idée de complémentarité, « Le romancier est l'historien du présent, alors que l'historien est le romancier du passé » Chronique des Pasquier (1933-1945) Georges Duhamel
Idée : Le roman corrige l’histoire et la rectifie. « L'histoire est un roman qui a été, le roman est de l'histoire qui aurait pu être » Journal les frères Goncourt
Idée : Le roman policier est fiction, car n’ayant aucun réalisme ; donc absence de meurtre justifiée. « Je trouve qu'il y a trop de romans policiers et pas assez de meurtres »
Idée : Le roman est fiction, toute sa technique doit parvenir à transformer la vérité, à la masquer, à la trahir. « L'art du roman est de savoir mentir » extrait de J'abats mon jeu (1959) par Louis Aragon
La poésie
Idée : engagement « Toute poésie vraie est inséparable de
Idée : poésie, parole de la masse populaire « (
Idée : poésie élégiaque, née de la douleur, de la souffrance. « Les poètes quand ils ont de la peine, au lieu de la chasser, ils lui cherchent un titre » Les pensées de San-Antonio Frédéric Dard
Idée : Le poète est un visionnaire, un prophète, un mage, un voyant. « Le poète se souvient de l'avenir » Journal d'un inconnu Jean Cocteau
Idée : l’esthétique fondement de la poésie. « Les mots il suffit qu'on les aime pour écrire un poème » (Raymond Queneau)
Idée : Le lyrisme, le langage poétique sort du cœur et c’est le cœur qui le sent. La poésie est sentie, non comprise. « La poésie, cette langue que personne ne parle et que tout le monde comprend ». (Alfred de Musset)
Idée : Poésie et âme. Poésie et musique. « La poésie est cette musique que tout homme porte en soi » (William Shakespeare)
Sujets de préparation pour le BAC
Sujets à faire pour préparer le bac
Sur la poésie
« Qu'est-ce qu'un beau poème sinon une folie retouchée ? » (G. Bachelard, Poétique de la rêverie). Comment comprenez-vous cette définition du texte poétique ?
« Je n'ai pas l'intention de faire un livre, je pousse un cri. » Cette phrase de Victor Hugo à propos d'un autre de ses ouvrages conviendrait-elle aux poèmes des Châtiments que vous avez étudiés ?
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux./Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots écrit Alfred de Musset (1810-1857) dans sa Nuit de mai. Commentez et discutez cette affirmation en vous appuyant sur le corpus et sur les poèmes que vous connaissez.
La poésie est-elle une manière de fuir la réalité ou de s'en rapprocher ?
D'après Mallarmé, il faut, en poésie, céder l'initiative aux mots. Vous expliquerez et discuterez cette déclaration ?
La poésie crie, accuse, espère. Qu'en pensez-vous ?
« On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! Insensé qui crois que je ne suis pas toi ! », écrit Victor HUGO dans la préface de son recueil de poèmes Les Contemplations. Qu’en pensez-vous ?
Sur le roman
Le roman ne doit-il être ni un exutoire ni une tribune ?
« Il y a deux sortes de romans : le roman qui nous fait oublier la vie, et le roman qui nous explique la vie. » Qu'en pensez-vous ?
Selon Stendhal, « un roman c'est un miroir que l'on promène le long du chemin ». Discuter cette affirmation en vous appuyant sur Pierre et Jean ?
Sur le théâtre
Un écrivain contemporain déclare : « Je me propose non de vous faire frémir ou pleurer mais de vous faire réfléchir ». Cette affirmation peut-elle être appliquée, selon vous, à l'oeuvre théâtrale du XXe siècle, inspirée d'un mythe antique, que vous avez étudiée cette année ?
Sur la biographie d’auteurs
Est-il nécessaire de connaître la biographie d'un écrivain pour comprendre et aimer son oeuvre ?
Montaigne écrit, dans le livre II de ses Essais : « Je n'ai pas plus fait mon livre que mon livre ne m'a fait. » Pensez-vous que l'on puisse définir ainsi toute entreprise autobiographique ?
Sur la littérature
L'écrivain André Gide déclarait : Ce n'est pas avec de bons sentiments qu'on fait de la bonne littérature. Avec quoi donc fait-on de la bonne littérature ? Votre réponse devra s'appuyer sur des exemples précis ?
Sur le Parnasse
Musset déclare : « Les chants désespérés sont les chants les plus beaux ». Les Parnassiens ont au contraire affirmé que la seule poésie valable doit être impersonnelle. Commentez ces deux affirmations contradictoires ?
Sur l’engagement
L'écriture poétique vous paraît-elle apte à convaincre le lecteur, à susciter son engagement, ou pensez-vous comme Sartre qu'elle brouille le message ?
Selon vous, le théâtre est-il un genre propice à l'engagement ?
dimanche 16 mars 2008
La politique dans Phèdre de Jean Racine
Introduction
De ses origines, la tragédie fut politique par nature, car elle traitait des problèmes de la vie de la Cité. La tragédie classique est une méditation fondamentale sur les grands problèmes politiques (l’essence du pouvoir, l’exercice de l’autorité, les successions, les guerres, les séditions, la raison d’Etat, etc.)
La tragédie c'est aussi une œuvre dramatique qui représente des personnages de haute condition aux prises à des conflits intérieurs et au destin exceptionnel. Pour explorer la politique, nous exposerons tour à tour la position des forces politiques et le théâtre et la politique.
II. La position des forces politiques
1. La géopolitique
Ce concept désigne l’influence de l’environnement géographique, économique, social et culturel sur la politique d’une nation et sur la nature de ses relations avec d’autres nations. Dans Phèdre, la géopolitique est favorisée par la proximité des territoires d'Athènes, de Trézène et de Crète, mais aussi par la passion entre les différents protagonistes de la pièce, en l'occurrence Phèdre, Hyppolite et Aricie. Avant l'annonce de la mort de Thésée, le problème ne se posait pas. Le royaume était un. L'absence du roi fut un motif pour redéfinir la politique de gestion de la royauté.
On sait que La Crète appartenait à la famille de Phèdre. Mais sa position de reine la met dans la meilleure position de réclamer le trône.
Quant à Aricie, elle est esclave, mais elle reste l'héritière légitime d'Athènes. Hyppolite est alors un peu l'apatride. A priori, aucune patrie ne lui revient s'il ne se bat pas, même s'il peut réclamer Trézène où il a été élevé et qu'il y bénéficie des faveurs du peuple.
2. La passion au service de la quête du pouvoir
Racine mêle le plus souvent de façon inextricable les passions et les « grands intérêts de l’Etat ».
La mort supposée de Thésée, annoncée par Panope libère les passions, et aussi les intérêts politiques tus jusque-là. Ce qui pousse d'emblée Hyppolite à revendiquer le trône d'Athènes dès la scène 4 de l'Acte d'exposition.
Hyppolite va essayer de s'allier à Aricie qu'il aime et qui l'aime pour s'accaparer la totalité du royaume.
Dans l'autre camp, celui de Phèdre, Oenone va s'employer activement auprès de sa maîtresse pour la conquête du pouvoir, et elle dit "Le roi n'est plus, Madame; il faut prendre sa place" (p. 58) En d'autres termes, elle lui rappelle qu'elle est désormais la reine en attendant que son fils grandisse. Dans l'entendement de Phèdre, le pouvoir est aussi un moyen pour conquérir l'amour de son beau-fils qu'elle sait qu'il est intéressé par le royaume de son père. En ce moment Hyppolite décide de partir pour Athènes à la fin de l'Acte III, à la scène 4 (P. 81) pour installer Aricie sur le trône. Aussi dit-il à Théramène : "Partons; et quelque prix qu'il en puisse….."
La politique est donc omniprésente: le pouvoir sert ou on se sert de lui. Ainsi Phèdre compte utiliser le pouvoir pour conquérir son beau-fils. Celui-ci par contre veut à la fois et le pouvoir et l'amour d'Aricie. Enfin Aricie, elle, peut passer par la passion d'Hyppolite pour récupérer le territoire perdu par sa famille. On a comme l'impression que tous les moyens sont donc bons pour arriver à ses fins en politique.
En définitive, on aura compris ici que tout s'entremêle : les affaires étatiques et celles des cœurs, grâce notamment aux rôles non moins importants des conseillers ou entremetteurs, c'est selon.
3. L’unification et la fin tragique
L'arrivée – ou la résurrection du Roi Thésée suffit pour démêler tout cela, mais de manière tragique. Ce qui justifie que les quêtes des trois personnages devenaient impossibles. Comme quoi l'amour et la politique ne font pas bon ménage. Les intrigues les précipitent tous dans l'échec et la mort. Le retour du roi est par là un coup de théâtre qui suspend les désirs et fait taire les prétentions des trois. Il y avait comme une conspiration, un complot, un coup d'Etat du roi, d'autant plus que sa mort n'a jamais été confirmée. Chose plus grave, Thésée ne soupçonne rien de ce qui concerne l'intrigue politique en son absence. Seules les passions sont avouées. Mais la décision du roi et père le fait comprendre : Hyppolite est déshérité pour avoir aimé Aricie.
III. Théâtre et politique
1. Racine et la cour royale
A "l’automne 1677, la carrière de Racine prit un tournant sa pièce, Phèdre, malgré son succès immense, fut attaquée violemment par ses ennemis qui dénoncèrent le caractère scandaleux de son intrigue". Sous l’influence de Madame de Maintenon, épouse du roi, la Cour adoptait des mesures de moralité qui s’accordait mal avec l’art théâtral, traditionnellement jugé impie (contraire à la religion) par l’Église. "Soucieux de prendre ses distances avec le théâtre, Racine décida alors d’abandonner la scène. Il eut d’ailleurs bientôt l’honneur, en même temps que son ami Boileau, d’être nommé historiographe du roi, charge très honorifique et très lucrative"
La parution de Phèdre coïncide avec la nomination de Racine, historiographe roi. On sait également que Racine affectionne la politique comme thème de tragédie, en témoigne ses pièces Britannicus (1667) et Bérénice (1670). Dans celui-ci il voulut peindre un "un monstre naissant" et offrit finalement un monstre politique. Pour dire que le thème de la politique lui colle à la peau. L'introduction du personnage d'Aricie est semble-t-il un prétexte pour corser le problème passionnel, pour le rendre vraiment impossible, éclairant par là même la situation sans issue de la passion de Phèdre pour Hyppolite. Mais plus elle pose un problème politique à trois niveaux : chez Phèdre, Hyppolite et Aricie qui convoite le pouvoir. Racine s'est sans doute inspiré des intrigues politiques de la cour, ou veut-il prouver que la passion mène à tout, y compris aux problèmes d'Etat.
2. La théâtralisation de la vie politique
On sait que la tragédie classique mettait en scène des personnages de haute condition, souvent des aristocrates. Alors la mise en scène du roi et de sa famille était un sujet fréquent. Le lieu constitué d'un palais suggère déjà qu'en toile de fond il y aura des affaires politiques en jeu. Les acteurs politiques ont été identifiés en haut, à savoir Thésée, son épouse Phèdre, son fils Hyppolite et son esclave Aricie. Et la mort supposée de Thésée n'a pas seulement libéré les passions, mais elle a été l'occasion de théâtraliser une sorte de guerre de succession. Alors ce qui est fondamentalement en jeu ici c'est, pour Phèdre, de réussir à avoir et la gloire et l'amour, à être pure et incestueuse. On assiste donc à une théâtralisation des aspirations profondes de l'héroïne.
La politique telle qu'elle est menée par ces acteurs est l'expression des appétits inavoués. Hyppolite ne surprend personne, d'ailleurs sa mère était la reine des Amazones, donc des barbares. Phèdre est la fille d'une mère qui a donné naissance à un monstre, le minotaure. Enfin Thésée a tué le père d'Aricie pour s'emparer d'Athènes et prendre celle-ci en captivité. Bref, la ruse et la barbarie, dissimulées sous le masque carnavalesque de la passion, vont perdre devant la puissance de la royauté (Thésée) et de la divinité (Vénus).
Conclusion
On a vu que la politique est un sujet qui offre des possibilités immenses au dramaturge. Et, même s'il est relégué au second plan par Racine, il n'en demeure pas moins que son étude constitue un bon moyen de comprendre l'histoire de la pièce. D'ailleurs, Ce thème de la passion est en quelque sorte l'approfondissement de celui de sa pièce antérieure Mithridate (1673) : "lorsqu’elle apprend la mort du roi du Pont, Mithridate, à qui elle était promise, Monime confesse son amour à l’un des deux fils de celui-ci, Xipharès. Mais l’annonce du décès se révèle bientôt n’être qu’une rumeur infondée, et l’amour de Xipharès et de Monime, dénoncé par le frère intrigant, Pharnace, prend un caractère scandaleux. La trahison de Pharnace, gagné à la cause des Romains, finit cependant par convaincre Mithridate mourant de sceller l’amour du jeune couple".
La politique est donc le nerf de la passion.
Sources :
Phèdre de Racine, Nouveaux classiques illustrés Hachette, 1988.
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Etude de Nini mulâtresse du Sénégal de Abdoulaye Sadji
La littérature africaine a dans ses débuts été dominée par les écrivains blancs, et quelques auteurs noirs complaisants à l'endroit de la métropole. Mais depuis Batouala de Réné Maran en 1921, une veine réaliste sans complaisance a osé s'exprimer, nonobstant les menaces de l'administration coloniale. Et Abdoulaye Sadji, même s'il n'emprunte pas les sentiers battus, c'est-à-dire de faire une critique systématique du colonisateur, il explore un sujet assez délicat avec une écriture originale dans son roman Nini mulâtresse du Sénégal publié en 1951. L'analyse de ce livre montre que l'auteur met à nu la mulâtresse. A travers ces lignes nous verrons comment il a réussi son projet. Vous pourrez lire quelques notes sur la vie et l'oeuvre de l'auteur, lerésumé du roman, la structure, les personnages, les différents thèmes et l'écriture du récit.
I. La présentation de l’auteur Abdoulaye Sadji
1. La biographie de l’auteur
Son père, Demba Sadji était un marabout sérère, et sa mère Oumy Diouf est issue d'une famille musulmane léboue. Elle était aussi très conservatrice de sa tradition animiste. Abdoulaye Sadji fait des études coraniques puis entre à l’école primaire à onze ans. Il fréquente le Lycée aidherbe avant d’aller à l'École normale William Ponty. Il devient l'un des premiers instituteurs africains en 1929 et exerce en Casamance, à Thiès, Louga, Dakar et Rufisque, où il occupe ensuite le poste de directeur d'école et d'inspecteur Primaire de 1959 à sa mort, en 1961. Sadji est également le deuxième sénégalais (après Ousmane Socé Diop) à obtenir le baccalauréat en 1932, défiant ainsi les autorités coloniales.
Sadji est également engagé dans le combat pour l'indépendance de son pays et peut à ce titre être classé parmi les pionniers de la Négritude. Il pratique la "Négritude intérieure", et c'est à ce titre que Léopold Sédar Senghor dit de lui: “(...) Abdoulaye Sadji appartient, comme Birago Diop, au groupe des jeunes gens, qui, dans les années 1930, lança le mouvement de la Négritude. Abdoulaye Sadji n'a pas beaucoup théorisé sur la Négritude: il a fait mieux, il a agi par l'écriture. Il fut l'un des premiers jeunes Sénégalais, entre les deux guerres mondiales, à combattre la thèse de l'assimilation et la fausse élite des 'évolués'. Il a, pour cela, multiplié, au-delà des discussions, articles et conférences”
2. Son œuvre
Ses œuvres les plus connues restent Maïmouna (1953). Ce roman relate, à l’image de Nini Mulâtresse du Sénégal (1954), le parcours de jeunes femmes africaines qui, à l'image d'un continent en transition, connaissent espoir, doutes et désillusions. Tounka une légende de la mer est publié en 1952, suivi en 1953 d’un livre de contes ancrés dans le folklore sénégalais Leuk-Le-Lièvre, en collaboration avec Léopold Sédar Senghor qui en assure la partie grammaticale. Modou Fatim paraît en 1960
Il a donné aussi de nombreux articles dans les revues Présence africaine et Paris-Dakar
Il écrit également des nouvelles Tragique Hyménée (1948), Un rappel de solde (1957).
A titre posthume paraîtra son essai Ce que dit la musique africaine en 1985.
II. Résumé de Nini
L’histoire du roman se passe dans l’ancienne capitale du Sénégal, Saint-Louis, et durant l’époque coloniale. Il s’agit d’une toute petite tranche de vie d’une mulâtresse Virginie Maerle, connue sous le diminutif Nini. Elle vit avec les seuls parents qui lui restent, sa tante Hortense et sa grand-mère Hélène, des mulâtresses elles aussi. Nini commence à sortir avec un collègue de bureau, le français Jean Martineau. Leur relation devient toujours plus intime, mais le rêve plusieurs fois répété de la jeune fille d’épouser un Blanc et partir avec lui en France va encore s’envoler. Martineau et son ami Perrin seront licenciés par la compagnie les «Entreprises Fluviales » et ils vont devoir rentrer en Europe. Une fois rentré, Martineau épouse une compatriote et retourne en Afrique Equatoriale Française avec elle. La grand-mère de Nini étant morte, pour fuir les mauvaises langues et les chahuts de ses amies, Nini part pour la France après avoir vendu l’immeuble qu’elle avait hérité de ses parents et qui lui fournissait un modeste revenu.
III. Structure du roman
Le roman est constitué de deux grandes parties. La première va de la page 9 à la page 150. La deuxième de la page 151 à la fin. Toutefois, pour une compréhension plus aisée, nous considérerons différentes séquences qui se fondent sur des datent importantes qui coïncident d’ailleurs à des événements ou faits dans les six mois de la vie de l’héroïne, événements aussi qui rythment la vie des ndar ndar ou saint-louisiens.
1re séquence : Dès le début, dans le mois de février, le romancier raconte la vie monotone de Nini et son travail de routine au bureau, car elle est dactylographe.
2ème séquence : Il se produit un événement important : la lettre de Ndiaye Matar qui est comptable aux Travaux Publics, bouleverse momentanément la tranquillité de la mulâtresse. Elle se confie à Madou, son amie qui lui propose de se venger de cette déclaration d’amour du Noir. Et là Nini a peur de sa propre couleur, de ce que ce noir lui rappelle ce qu’elle est.
3ème séquence : Autre événement, celui du mariage de Dédée, une mulâtresse avec un Blanc, Monsieur Darrivey, le samedi 27 février. Ce mariage redonne de l’espoir à Nini.
4ème séquence : Sachant que le mariage d’une mulâtresse avec un Blanc est fort possible à Saint-Louis, la famille de Nini décide de prendre le taureau par les cornes. Et afin de réaliser leurs rêves de toujours à travers leur fille, c’est la grand-mère va voir un marabout avec l’aide d’une cousine Khady.
5ème séquence : C’est le 13 juillet, veille de la fête de l’indépendance de la France. Nini invite à dîner ses amis blancs Perrin et Martineau, pour faire manger à ce dernier la potion magique du marabout.
6ème séquence : Cette séquence est une sorte clôture, un dernier acte dans cette tranche de vie de Nini. C’est la fête du 14 juillet aussi. A la liquidation de la compagnie, les Blancs sont remerciés, et ils rentrent à l’hexagone. Nini aussi part pour la France, fuyant ainsi les commérages des ses amies.
IV. Les personnages
Etudier les personnages dans ce roman revient surtout à explorer des mentalités. Les mentalités des races noires, blanches, et surtout celles des mulâtresses, ces métisses biologiques comme écrivait Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs.
Etudier les personnages, c’est également s’attarder souvent sur la psychologie des Noirs. Voilà en somme à quoi s’en tenir pour lire à travers l’analyse des protagonistes du récit. Nous verrons pour plus de commodité pratique l’« élément » mulâtresse, ensuite la population noire et enfin les Blancs.
1. Les mulâtres
Nini : Nini, c’est son diminutif ou son pseudonyme, car elle s’appelle Virginie Maerle. Elle a 22 ans dans le roman. Son portrait physique est favorable, car Nini est belle. Elle a une peau presque blanche, qu’elle tient de son père. Blanche à 1/5, et le narrateur note que Nini est « café au lait » presque blanche… un miracle de la nature a voulu qu’elle soit blonde avec des yeux bleus » p.41. De sa race noire, elle pris un « petit nez écrasé » avec des narines ouvertes, « des lèvres fortes » et la « démarche féline ». Cette dernière description physique est, on le voit, subjective, car le narrateur y vante les canons de la beauté de la négresse, et insiste sur la part de la mulâtresse qui revient à son côté maternel.
Nini est souvent triste parce qu’elle est hantée par le sang noir qu’elle a dans ses veines et qu’elle veut ignorer, mais affiche une mine joviale, gaie.
Par rapport à la religion chrétienne à laquelle elle appartient, Nini passe pour une non pratiquante. Pourtant elle était dans un couvent jusqu’à 15 ans – établissement où les jeunes filles ont un encadrement et un enseignement religieux. D’ailleurs elle a de l’aversion pour la religion musulmane, en témoigne son attitude vis-à-vis de l’appel à la prière du muezzin. p.22.
« Dis-moi ce que tu lis, je te dis qui tu es », ainsi on peut avoir une idée sur la psychologie de Nini. Sa lecture Deux nuits de volupté de Marot, L’Amant d’une nuit de Ronsard et La Muse gauloise de Verlaine p. 33. Nini est une rêveuse, même dans ses lectures on retrouve cette disposition à s’évader : « Nini rêve au lieu de lire » p.33. Voilà ce qui justifie qu’elle ne connaît rien de ce qu’elle prétend lire, et elle classe le philosophe Montesquieu parmi les romantiques pp. 36-37.
Madeleine Meckey ou Madou. Elle est l’amie de Nini et sa réplique, mais moins blanche et moins raffinée qu’elle. Elle a aussi honte de l’élément noir de sa peau. C’est pourquoi elle ne veut que son ami Perrin voit ses parents.
Grand-mère Hélène et tante Hortense : ce sont les deux seules parentes qui restent à Nini. Elles ont eu leurs moments de rêve d’être épousées par des Blancs. Maintenant, désillusionnées, elles se replient sur elles-mêmes et trouvent refuge dans la religion chrétienne, et ne ratent jamais la messe.
Dédée est la mulâtresse de « demi-teinte » p.95 qui se marie avec un Blanc M. Darrivey.
Il y a aussi la tante de Dédée, Sylvie. Elle tient à son gendre et est très jalouse de lui.
La population mulâtresse est constituée également d’autres comparses telles que Nana p. 76, Lia p. 171, Mimi, Nénée, Nénette, Titi. Elles sont des amies, autant dire des compagnons de Nini.
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2. Les Noirs
Ndiaye Matar : A le juger par ses manières et sa tenue, tout laisse croire que c’est un Blanc. Voilà ce qui justifie que sa lettre à Nini soit surprenante. C’est un noir, et son nom l’identifie.
Ndiaye Matar est « très élégant et correctement vêtu » p. 37 Il est très respectueux et très respecté par les Blancs surtout. D’ailleurs pour le saluer Martineau se lève et entend le titre de respect « monsieur ». C’est le type du civilisé sans perdre sa nature. On peut lire à la page 63 qu’il est « originaire de Dakar, il a été affecté à Saint-Louis, aux Travaux Publics après son succès à la première partie du baccalauréat… » Un peu révolutionnaire, il veut défendre les droits de ses congénères, mêmes ceux des métisses. Mais son vain combat est caricaturé par le narrateur qui le compare à Don Quichotte de la Manche, chevalier de la Triste figure p.66.
Son amour pour Nini est un coup de foudre p. 65. C’est un amour sincère, mais un peu une manière pour lui de sauver Nini de cette race blanche dont elle victime de rejet sans le savoir.
Bakary : le boy de la famille de Nini. Un vrai noir avec la couleur et la tradition. Il représente le type du boy esclave. A cause de lui, Perrin pense que Nini vit l’époque de l’esclavage, par la manière de la traiter. Il est docile et candide. Son français petit nègre le caractérise p.12.
Mamadou : le planton dans le service où travaille Nini. Il est le contraire de Bakary. Loin d’être soumis, souvent de mauvaise humeur et très rancunier, mais fait son travail comme il faut. Il représente le nègre rebelle. Il parle bien français, mais fait toujours exprès de parler wolof avec Nini, histoire de se moquer d’elle.
Du côté des Noirs, Nini est apparentée à Khady, c’est la cousine de sa grand-mère Hélène p.119. C’est elle qui servira de relais entre grand-mère Hélène et sa tradition. Elle emmène cette dernière à un marabout manding.
Fatou Fall est une cousine noire de Nini. Elle est très belle, car les Blancs l’apprécient plus qu’à Nini. « Elle est rudement belle, la « djiguène », échappe à Perrin. Et cela est confirmé par son ami qui ajoute « follement séduisante » p.143, à croire que les Blancs en deviennent fous. D’ailleurs, Nini en devient même jalouse devant les remarques de ses invités Martineau et Perrin. Durant cette soirée, elle est ainsi décrite par le narrateur : « Fatou Fall a pris sa camisole ajourée, blanche comme la vertu, et un pagne de même couleur travaillé par des rayures noires » p.137
Le marabout mandin représente à la fois l’islam et la religion africaine animiste.
3. Les Blancs
Il y a surtout Jean Martineau et Perrin, les collègues bureau de Nini. Respectivement aussi amants occasionnels de Nini et de Madou. Martineau est un intellectuel, licencié en droit et diplômé de Sciences-Po p.170. Perrin est un homme franc qui n’hésite pas à faire des remarques blessantes à l’endroit de Nini, et des compliment envers les Noirs.
D’autres personnages blancs sont épisodiques à l’image du patron de Nini, qui est sec et sévère p.47 ; Monsieur Campian, ingénieur est l’une des hautes personnalités de la ville, il est très « négrophile » tout comme le professeur du lycée Faidherbe, M. Roddin p.60.
M. Darrivey, c’est lui qui épouse la mulâtresse Dédée. Il est l’adjoint des Services Civils. Le portrait que dresse Nini de lui est très complaisant pp.98-99
Le docteur Finot représente la médecine blanche moderne. P179
Cette étude des personnages révèle des vérités tues par le narrateur, mais qui peuvent se lire entre les lignes. On retiendra surtout une critique assez sévère vis-à-vis du comportement des mulâtresses qui refusent d’ouvrir les yeux pour voir la vérité en face. Mais on a l’impression qu’elles sont amendées par leur manque de culture, d’études poussées. Comme Nini, elles sont naïves. D’ailleurs, tous les intellectuels du livre apprécient les Noirs. Ensuite elles sont le produit de cette race qu’elles détestent, et sont rejetées par celle-là même à laquelle elles aspirent.
V. Thèmes et style dans Nini
1. Les thèmes
Les différents thèmes sont : la colonisation, le racisme, l’esclavage, l’exploitation, la civilisation, la tradition, la religion, l’amour. Le souci de brièveté nous impose de nous limiter à quelques thèmes, qui, de toute façon, englobent les autres thèmes.
L’histoire de la vie de Nini se déroule sur un décor de colonisation. Et c’est ce qui justifie quelque peu le complexe d’infériorité dont sont victimes les mulâtresses qui aspirent à une situation et un statut dont jouissent leurs parents blancs. La colonisation atteint son paroxysme avec la célébration de fête nationale de la puissance coloniale la France, le 14 juillet p.147. La colonisation se caractérise aussi par l’exploitation des ressources du pays. La forte communauté française est une sorte de machine pour piller les ressources africaines, même les filles ne sont pas épargnées, celles qui ont donné naissance à des Nini, Nana, Nenettes… Les « Entreprises Fluviales » qui emploient 42 agents est la preuve palpable de cette volonté de ponction sur les ressources du pays colonisé.
Quant au racisme, il s’organise naturellement, dans la ville de Saint Louis, avec un système de classes hiérarchisées. En effet l’ordre d’importance des races s’établit comme suit : d’abord il y a les Blancs, ensuite les métisses et les Noirs en dernier dans l’échelle sociale. Il faut remarquer quand bien même qu’ « il y a des cloisonnements étanches » p.42 entre les mulâtres, on a trois classes chez les mulâtresses : les presque blanches, les basanées, les peaux foncées, donc plus proches de la couleur noire. Entre ces différentes couleurs, règne une ségrégation mortelle.
La civilisation occidentale est très présente ici avec leur culture du cinéma, des boîtes de nuits, et autres lunchs (ou soupers), etc. Et le narrateur ironise souvent quand il parle « mission civilisatrice » des Blancs. Mission qui se résumerait dès par une débauche sans pudeur, accompagnée de « l’usage effréné de l’alcool et de stupéfiants » p.49
En marge de tout cela, se vit une culture, autant dire une tradition africaine très digne. Ainsi à côté des danses occidentales telles que le valse, monotone. Le narrateur y fait ressortir les oppositions des deux civilisations : « La biguine et la rumba sont les deux modes d’une même réaction pour accepter tout en la repoussant la danse européenne, la civilisation européenne… » p.59
A travers le personnage de Bakary, tout un pan de la tradition africaine est mis à nu. Une tradition faite de croyances mais aussi de superstitions. Il faut lire les nombreuses allusions à la conception nègre de l’univers dans les pages de 113 à 117. (Vous trouverez bientôt une explication d’un texte dans l’autre blog sur les exercices littéraires).
Vers la fin de sa vie la grand-mère Hélène va d’ailleurs réclamer les « Tours », ses ancêtres (p.181)
Les religions sont ici présentées comme des moyens auxquels on recourt après déception. La grand-mère Hélène et tante Hortense se sont tournées vers la religion chrétienne après maintes déceptions. Maintenant elles sont abonnées à la messe p.11. Une façon pour elles de faire leur deuil d’illusions de jeunesse. Quand elle a voulu que le Blanc épouse sa petite fille, la vieille ira aussi solliciter l’aide d’un marabout manding, mais au final, c’est elle qui profitera des services du serigne. Ce qui est caractéristique, c’est le syncrétisme religion que vit cette population, aussi bien noire que mulâtre. Même Nini, dans le désespoir accepte les gris-gris (p.122) du marabout tout en louant Jésus Christ. Ce cocktail religieux se retrouve partout surtout chez les Noirs dont Nini blâme la conduite en ces termes : « Ils profitent de toutes les fêtes : la Tabaski et le Ramadan […] les fêtes chrétiennes ou républicaines » p.139. Même les blancs sont tentés par ce syncrétisme, et à l’invocation du muezzin, Martineau et Perrin faillirent faire un signe de croix p. 22.
Le thème de l’amour est le ressort du roman. Chez Nini l’amour ne signifie rien. Ainsi s’interroge-t-elle sur l’amour prescrit par la religion « Aimez-vous les uns les autres ». On dit d’elle que « L’amour, pour elle, reste un simple sport » (p.176). Ce qui fait que le seul vrai amour dans l’histoire est peut-être que celui Ndiaye Matar éprouve pour Nini. Ce coup de foudre dont il est victime lorsqu’il a vu pour la première fois Nini au bureau où elle travaille. Mais cet amour est quelque peu faussé parle le désire du Noir de venger la mulâtresse de ces aventuriers blancs. Qui parle d’amour, parle de beauté. La beauté est souvent louée dans le roman. De toute façon, métisse rime souvent avec beauté. La fausse et naïve question de Nini « Peut-on parler de beauté chez la négresse ? » (p.145) ne doit occulter la beauté de la femme africaine. Se référer au poème « Femme nue femme noire » de L. S. Senghor dans Chants d’ombre publié en 1945.
2. L 'écriture
L’écriture du romancier est simple, très dense parfois et accessible à tout lecteur, ce qui dénote son programme de toucher le plus grand nombre de lecteurs. Sa technique réside dans sa manière d’explorer l’inconscient collectif des mulâtresses, à travers l’écriture d’une fiction où dominent le rêve et le cauchemar. Il donne à son texte, dans divers endroits, une orientation double : le Noir et le Blanc ; la nuit et le jour. Et Nini est entre les deux, elle est la mulâtresse, elle est aussi l’aube, aussi aime-t-elle cette heure jusqu’à se lever sans avoir quelque chose de particulier à faire. (Cela justifie sa crainte du Noir, et même de la nuit. Elle fait des cauchemars et, elle a hâte de voir le lever du jour pour rêver) Nini fait un cauchemar quand elle rêve d’un Noir (p.13), et le songe est un simple rêve s’il s’agit d’un Blanc. Ces deux tendances traduisent ces deux appartenances. Le vocabulaire utilisé par le narrateur est très édifiant, car le chant lexical du rêve domine largement : « illuminé » (p.13), « réflexions », « torpeur » (p.48), « illusion » (p.71), « chimères » (p.176)
A la page 33, on voit que même éveillée, Nini rêve : « Nini rêve au lieu de lire ».
Le rêve de Nini (il s’agit de Martineau) s’envole avec l’avion d’Air France p.252.
Au travers de l’exploitation de la technique du rêve et du cauchemar, on note une écriture très caricaturale, humoristique et même comique.
Et le narrateur toujours exploite le personnage de Nini et de sa clique. Prenons le cas des répétitions des noms presque cocasses des mulâtresses qui ponctuent le texte : Nini, Mimi, Nénée et Nénette. Une analyse onomastique montre que respectivement ni blanche ni noire ; mi blanche mi noire, née blanche née noire ; Nénette est une petite Nénée. « Les Ninis, Nanas, Nénées… » p.95 insiste sur le caractère naïf de ses métisses. A la page 56, « les Ninis, les Riris, les Loulous, les Nanas et Nénettes… ». La plume du romancier on le voit très satirique à l’égard des mulâtresses. Et souvent dans cette volonté délibérée de se moquer de cette race intermédiaire, il se fait complice des Blancs pour la railler (lire pour cela la page de 39). Lorsque Perrin traite Madou et Nini d’ « entraîneuses » et de « vedettes », le narrateur renchérit par une comparaison avec « Joséphine », peut-être Joséphine Baker* (p.83). Lire aussi la page 175.
Parfois même le narrateur utilise la naïveté de Nini pour glisser sa moquerie. La lettre de déclaration d’amour de Ndiaye Matar produit un effet tel que le narrateur saute sur l’occasion pour faire une comparaison avec l’effet que produirait le « passage des météores, des comètes… » (p.62). Il fait une parodie du théâtre et alors l’héroïne est une actrice d’une réalité théâtralisée ; ou encore une actrice de cinéma. Comme qui dirait que Nini et Madou « fait du cinéma », du moins tel est l’avis de leurs camarades qui «se réjouissent à l’idée que cette effervescence tapageuse marque la fin d’un film » (p.175)
* Baker, Joséphine vécut de 1906 à 1975. C’était un danseuse et chanteuse française d’origine américaine. Elle était très célèbre à Paris dans les années vingt pour la culture afro-américaine qu’elle incarnait. Elle est née à Saint Louis (des États-Unis), elle danse dans les fameux clubs de Harlem avant de s’établir à Paris en 1925 faisant des scandales avec la Revue nègre où ses sa nudité et ses chorégraphies trépidantes choquent le public bourgeois du Théâtre des Champs-Élysées.
Conclusion
Nini est un roman très critique. Abdoulaye Sadji y multiplie les coups de boutoir avec des attaques à la grande famille mulâtresse, mais aussi au système colonial dont les enfants, biologiques et psychologiques, sont ici vitupérés. La qualité du récit réside dans l'illusion dans laquelle vivent les personnages et la purge dont l'éventuel lecteur pourrait bénéficier. Pour réussir ce coup de force, le romancier use de beaucoup de moyens que lui offre la langue française, mais aussi la culture africaine, sénégalaise.
Même si on a pu dire que l'auteur a écrit ce roman en réaction à une déception causée par une mulâtresse, il n'en demeure pas moins que c'est la réalité d'une époque qui se lit dans ce roman. Son humour et son ironie permettent de l classer parmi les grands écrivains africains de la littérature coloniale.