samedi 20 juillet 2013

Etude : « Bouki pensionnaire » extrait de Les nouveaux Contes d’Amadou Koumba de Birago DIOP


Introduction

En Afrique, le conte occupe une place privilégiée dans l’éducation des populations. Voilà pourquoi son étude est pertinente dans le cours de notre vie, particulière dans la vie scolaire. Et Les nouveaux Contes d’Amadou Coumba de Birago Diop constitue un recueil incontournable pour revivre les contes sénégalais.
Voilà pourquoi Léopold Sédar Senghor souligne dans sa préface que Birago Diop « rénove [...] en les traduisant en français, avec un art qui, respectueux du génie de la langue française — cette « langue de gentillesse et d'honnêteté » —, conserve, en même temps, toutes les vertus des langues négro-africaines. » Certains contes sont explicitement destinés aux enfants vu les thèmes et le style simple du conteur. Nous étudierons la vie et l’œuvre de l’auteur, le résumé, la structure et les thèmes et moralités.

I. Vie et œuvre de l’auteur

1. Biographie de l’auteur

Diop, Birago (1906-1989) est un écrivain sénégalais d'expression française, il rend hommage à la tradition orale de son pays en publiant des contes. Né près de Dakar, il reçut une formation coranique et suivit aussi les cours à l'école française. Pendant ses études de médecine vétérinaire, à Toulouse, il s'associa à la fin des années 1930 au mouvement de la Négritude qui comptait alors Senghor, qui fait la préface des nouveaux contes d'Amadou Koumba. . Il marque dès son premier livre son goût pour la tradition orale des griots. Sa carrière diplomatique et son retour à son métier de vétérinaire à Dakar n'entravèrent pas son exploration de la littérature traditionnelle africaine. Il publie la Plume raboutée et quatre autres volumes de mémoires de 1978 à 1989.
Les Nouveaux Contes d'Amadou Koumba est un recueil de contes du Sénégal faisant suite aux Contes d'Amadou Koumba, transcrits par Birago Diop d'après les récits du griot Amadou, fils de Koumba, et publiés pour la première fois en 1958.





2. Bibliographie

Birago Diop a écrit des récits mais aussi des poésies. Entre autres, il fait paraitre

Contes d’Amadou Koumba
Nouveau contes d’Amadou Koumba
Contes et Lavanes
L’Os de Mor Lam
Contes d’Awa
Leurres et Lueurs (poésie)
La Plume rabouté 
A rebrousse-temps
A rebrousse-Gens 

II. Le résumé

Bouki, à cause de la famine, ne trouvant rien à manger, devint très maigre. Et « Lasse de trottiner et de trainer la patte derrière les furtifs lézards et les véloces ratons qui se moquaient visiblement de son allure titubante. »
Bouki se refugia chez le Lion. Gayndé voyant Bouki au milieu de ses petits « avait éprouvé une souriante et douce pitié » Toutefois « Gayndé-le –Lion avait recueilli Bouki-l’Hyène dans un piteux état aux jours de disette dans le pays » Il l’hébergea ainsi dans sa demeure, et même le nourrissait.
Et Bouki grossissait, mais sa disponibilité se réduisait, ce qui se traduisait par un comportement pour le moins arrogant et insolent ; de telle sorte que les lionceaux en firent la remarque à leur père.
Pour lui donner un avertissement, Gayndé tua à la chasse une hyène, et pas n’importe laquelle, mais une hyène telle Bouki n’en avait jamais vu. Voilà la description du conteur  que  le conteur décrivit ainsi : « Devant elle, gisait, tripes au soleil, échine fendue jusqu’aux fesses basses, la plus grosse des hyènes, dont la mère de sa mère n’avait jamais parlé dans ses contes les plus flatteurs pour sa race. La proie de Gayndé était aussi grande que le plus fort des taureaux que Bouki eût jamais aperçus de loin aux temps d’abondance, dans le troupeau de Madal Poulo, le berger. » (p.171)
Apparemment Bouki avait compris l’avertissement. Mais avec le temps, il oublia. Il continua à chausser les sandales de Gayndé, devenait moins serviable, et plus insolente encore.
Un jour en revenant de la chasse, Gayndé rencontre Leuk-le-Lièvre. Celui-ci se proposa de l’aider à transporter ses prises.
En chemin, Gayndé avait tué Ndiougoupe-la-Chauve-Souris qui se moquait de lui, puis ce fut le tour de Bèye-la-Chèvre qui mourut à cause de son impertinence. Ils se moquaient de Gayndé parce qu’il avait hébergé Hyène.
Dans sa maison, ils trouvèrent Hyène en train de dormir. Celle-ci, réveillée, pesta.
Gayndé demanda à Bouki de faire le partage. Mais le partage ne plut pas à Gayndé. Il frappa la gueule de Bouki en « lui arrachant l’œil gauche, qui passa tout près du nez frétillant de Leuk-le-Lièvre » (p.174)
Le partage est pris en charge par Leuk qui donna tout à Gayné.




III. La structure du conte

Le conte s’est construit tel une composition musicale avec comme refrain les accusations des enfants qui informent leur père des agissements de leur singulier pensionnaire Bouki.
« Père, Bouki-l’Hyène a essayé tes sandales, et celles-ci lui vont impeccablement »

1. La situation initiale 

Bouki a comblé son manque. De la page 167 à la page 170, Gayndé avait d’autres soucis. Alors le conteur fait un retour en arrière et rappelle la misère de Bouki avant de venir chez son hébergeur. Et il fut traité comme un digne et respectable hôte. Il est même responsabilisé par Gayndé.

2. Les péripéties 

On assiste aux changements de comportement et à la transformation physique de Bouki. De la page 170 à la page 172
1re péripétie : Bouki est allé trop loin avec ses plaintes, et cette fois-ci Gayndé s’en est rendu compte. Une décision est prise par le roi de la forêt d’avertir son hôte. Il lui donna une leçon en tuant une grosse Hyène. Bouki changea de comportement. Une amélioration fut notée dans le comportement de ce dernier.
2ème péripétie : Leuk entre dans la danse en accompagnant Gayndé chez lui. Une fois arrivé, Gayndé demande à Bouki de faire le partage des proies de la chasse. Le partage mal fait de Bouki et le jugement du roi ne se fait pas attendre. Il le tua d’un coup de patte. Jugement qui rappelle d’ailleurs celui du roi dans Les Fables de Jean La Fontaine "Les animaux malades de la peste" affirme que « Selon que vous serez puissant ou misérable, / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir»

3. La situation finale

De la page 172 à la page 175, on assiste à la dernière épreuve que Gayndé soumet à son hôte. La fin tragique pour Bouki qui meurt puisqu’il n’a pas réussi à faire le partage tel que le veut le propriétaire du gibier ; et Leuk, lui, fait le partage en octroyant toutes les parts au Lion. Celui-ci épargna sa vie. La fin est ainsi malheureuse pour Bouki, et heureuse pour Leuk. Lion interrogea Leuk sur son partage.
« - Et qui t’a appris à si bien faire un partage, Oncle Leuk ? s’étonna Gayné-le-Lion.
-     - L’œil gauche de Bouki-l’Hyène, qui a frôlé la pointe de mon nez ! » (p.175)
Voilà ce qu’on dit Bouki a abusé de la bonté de son hôte. Il en a fait les frais.

IV. Les actants

Ce sont des animaux. On comprend que ce conte soit essentiellement destiné à l’éducation des enfants dans la pure tradition des sénégalais. Aussi les actants choisis sont très communs dans l’univers de contes, et représentent par là des caractères et des comportements.
Gayndé : il est le roi, à défaut le chef de famille qui décide de tout. Il entretient ses enfants. Il est fort et redoutable, ce qui lui permet d’imposer sa loi; la loi du plus fort.
Bouki : il symbolise la gourmandise et l’idiotie. Très opportuniste, et très méprisable, sa naïveté le perd souvent.
Leuk : il est le malin, et par excellence le contraire et l’ennemi de Bouki. Souvent, il est à l’origine des mésaventures de celui-ci. Dans la quête de Bouki, Leuk est toujours l’opposant.

V. Les thèmes et moralités

1. L’hospitalité

Bouki a abusé de l’hospitalité de son hôte. Il faut partir tant qu’il est temps. Ne jamais vivre sur le dos des gens.
Il semble que ce conte-là est une somme de proverbes vérifiés par le récit.
Autant l’attitude de Bouki, se réfugiant chez Gayndé est surprenante, autant la décision de Gayndé de lui épargner la vie et, par-dessus le marché, lui demander de s’occuper de sa proie est étrange, voire fabuleuse.
Chaque attitude de Gayndé suscite des interrogations ?
Là, on peut dire qu’ "il y a anguille sous roche", autrement dit cela n’augure rien de bon pour Bouki ; certainement Gayndé a une idée derrière la tête. Mais quoi ?
Et Bouki, lui-même n’en croyait pas ses oreilles : non seulement il pouvait penser qu’il se jetait dans la gueule du lion en s’invitant chez lui, mais quelle surprise que de se voir proposer de s’occuper la prise de Gayndé. Aussi se mit-il à trembler « de tous ses membres et de ses flancs aplatis ». La gourmandise de Bouki se révèle ici. Cet autre caractère propre à l’Hyène fait penser à un autre proverbe : « a beau chasser le naturel, il revient au galop »
Encore une fois, le conteur utilise l’hyperbole pour peindre ce caractère : « les forces lui revenant rien qu’à la vue et à l’odeur de toute cette chair, de toutes ces tripes qui fumaient encore, de tout ce sang dont le sol gourmand n’attendait, lui, aucune permission pour en prendre sa part » (p. 169)
Il enfreint un interdit dans la coutume des sénégalais, à savoir on ne parle pas la bouche pleine de nourriture. Mais face à la « bonté extraordinaire» de Gayndé, il ne pouvait attendre de terminer pour remercier. Le ton du griot est dans le remerciement « Ndiaye ! N’Diaye ! ! Gayndé N’Diaye ! merci ! » disait-il.

2. La gourmandise 

C’est à la fois un défaut et un péché. On le voit avec Bouki, c’est en réalité sa gourmandise qui l’empêche de réfléchir. Oui, elle remplit son ventre sans prêter attention à la réaction des lionceaux, encore moins à celle de Gayndé. Et d’ailleurs, on peut dire qu’il a « la mémoire au fond du ventre ». A chaque fois qu’il voit la viande, il adopte un comportement étrange : voici comment le conteur le dépeint à l’occasion : il mange « la gueule pleine », « Elle mangea, ce jour-là, pour tous les autres jours, pour toutes les semaines et même pour toutes les lunes qu’elle avait jeûné par la force des choses et non par dévotion » (p.169) dans de pareils cas, on dit de quelqu’un qu’ « il ne croit pas en Dieu »
Pour de la nourriture, Bouki est capable de se faire piétiner par les lionceaux. Il se montre ainsi sans vergogne, acceptant que les lionceaux jouent sur son ventre ; c’était le prix à payer pour avoir été hébergée par leur père et profiter de ses prises de chasse.
Bouki, voulant rester pensionnaire de Gayndé, se mit à jouer le rôle de bonne de maison et « avait nettoyé la maison, fait le ménage, amusé les enfants ». En plus, elle se montrait très prompte à s’occuper des proies que le maître de maison ramenait de la chasse, très empressée d’exécuter les ordres du maitre des lieux.
La ruse de Gayndé est une première épreuve que Bouki devait passer pour mériter de continuer à loger chez Gayndé : Gayndé cacha le gibier derrière l’enclos, et rentra dans la maison la gueule vide. Et Bouki resta presque sourde à ses appels.
Mais quand Bouki fut en présence de la bête tuée par Gayndé, au lieu de réfléchir à l’attitude de Gayndé, sa gourmandise l’empêcha de comprendre l’épreuve de son hôte.

VI. Le style du conte

Ce conte est amusant. Il l’est surtout car le récit est parsemé d’humour. L’humour est obtenu grâce à des figures de style telles que l’hyperbole et la comparaison pour présenter l’état physique de Bouki « Bouki était alors si maigre et si efflanquée que l’on voyait le soleil à travers ses côtes. Son poil était, alors, piqué et mité aux endroits où il en existait encore, et ses coudes et ses fesses étaient aussi nus que le derrière rougeoyant de Golo-le-Singe.» (p.168)
« Lasse de trottiner et de traîner la patte derrière les furtifs lézards et les véloces ratons qui se moquaient visiblement de son allure titubante. »
Le refrain est caractéristique du conte. En effet, les lionceaux répétaient les mêmes griefs à leur père, face à l’arrogance du pensionnaire Bouki.
L’utilisation du proverbe est un moyen pour formuler à la fois le conseil et l’avertissement : (« un large détour s’impose quand on trouve un nid de lionceaux »)
Mais le conteur sous-entend d’autres proverbes sur le comportement d’un hôte.
« Laisse mouton pisser tabaski viendra », semble dire Gayndé à ses petits lionceaux, mais ceux-ci n’avaient rien compris.

Conclusion

Ce conte est un banc d’essai pour illustrer quelques sagesses de vie dans la société africaine, et particulièrement dans la société sénégalaise. « Si on te donne tout, ne prend pas tout ».
En fait, on aura compris que Gayndé attendait un motif valable pour tuer Bouki. Par conséquent, il l’engraissait pour le jour où il rentrerait bredouille de sa chasse.