Vie et oeuvre
Né en 1953, Amadou Koné est professeur de lettres à l’université d’Abidjan. Il écrit des théâtres, Le respect des morts, De la chair au trône, une nouvelle Les liens et des romans dont celui-ci que nous parcourons pour vous, écrit à 18 ans. Aussi lira-t-on de lui Jusqu’au seuil de l’irréel et Le cycle du pouvoir des Blakoros.
Résumé
Ebinto était d’un village Akounougbé et étudiait en classe de troisième à Bassam. Dans la maison où il logeait il se lia à une fille Monique qui l’aimait. Une nuit, alors qu’il n’avait pas fermé sa porte, Monique vient le réveiller pour qu’il ferme sa porte, et elle était désirable, elle coucha avec Ebinto. Cependant Ebinto tomba amoureux Muriel, une fille qu’il avait malmenée en début d’année. Mais même s’il l’a embrassée, Muriel lui dit préférer s’en limiter à l’amitié, ce qu’elle lui écrit dans une lettre dans laquelle elle lui annonçait également qu’elle allait poursuivre ses études en France. Pas encore remis de ce coup du destin, la lettre de Monique qui était arrivée en même temps lui annonce qu’il serait le père de l’enfant de Monique, et que son père menaçait de la renvoyer de la maison et que si Ebinto ne l’épousait pas il porterait plainte. La mère d’Ebinto est favorable au mariage d’Ebinto avec Monique car dit-elle la fille l’aime et qu’en plus elle est vieille et a besoin d’aide. L’élève brillant qu’il était devait trouver un travail difficilement comme contremaître d’un certain M. Rouget près d’Ayamé. Là il vit avec sa femme, et ne lui adresse à peine la parole, et agit méchamment avec les employés. Sa femme malade de solitude et d’abandon va avorter. Mais remise à peine, Ebinto lui tombe malade. Il prend conscience de son injustice et demande pardon à sa femme qui va essayer de s’enfuir loin de lui. Il la retrouve dans une gare seule la nuit, la ramène et commence à vivre u bonheur immense. Mais c’est en allant en congé à Akounougbé qu’elle va rencontrer la mort en se noyant dans le fleuve durant la traversée malgré les efforts surhumains de son mari. Celui-ci va presque sombrer dans la folie.
Etude suivie à partir de quelques extraits
Ebinto n’avait que deux amis Koula et Bazié.
« Chez moi, le rêve côtoie la réalité et corrige ses côtés négatifs ; Et je ne rêve pas, je vois la vie autrement », dit Ebinto à son amie Monique. (p.19)
« Les livres, c’est toujours la même histoire : un garçon qui aime une fille et patati et patata. Ca sert seulement à aiguiser la sensibilité et à faire souffrir. C’est pourquoi je ne lis jamais », termine Bazié, ami d’Ebinto. (p.27)
« Jette mon livre, dis-toi bien que ce n’est là qu’une des milles postures en face de la vie, choisis la tienne » André Gide cité par Ebinto (p.36)
« Moi, je l’aimais et je voulus passer du stade de l’amitié à celui de l’amour. Elle s’en rendit compte et me dit de ne pas confondre les deux choses. Elle me cita Hugo : « (L’amitié) c’est être frère et sœur, deux âmes qui se touchent sans se confondre, les deux doigts e la main. » « L’amour c’est être deux et n’être qu’un. Un homme et une femme qui se fondent en un ange. C’est le ciel. »
« Souvent j’étais avec Muriel toujours prêt à lui déclarer ma passion. Mais un geste, un simple coup d’œil de Muriel m’imposait un silence dans lequel je ne pouvais plus vivre ; Pourquoi cette jeune fille me tolérait-elle si elle ne m’aimait pas ? Etait-ce pour ne pas me blesser ou pour flatter son amour-propre ? En tout cas je ne me sentais pas l’âme de ces amoureux de l’époque précieuse en France et qui faisaient la cour à une femme pendant vingt ans avant d’avoir une réponse. » (p.42)
« Je vis Muriel avec Azari, le fils d’un médecin. Je n’entendais pas ce qu’ils se disaient mais ils semblaient s’entendre très bien. Muriel souriait à Azari. Les yeux de la jeune fille avaient ce même éclat que ceux de Monique quand elle me parlait.
« J’étais là, comme un étourdi par la vue de ces deux jeunes gens parfaitement heureux à mes dépens… Pourtant devais-je capituler, rester sur ma défaite et perdre Muriel ? Ne pas lutter ? Mais comment lutter ? L’amour ne demande ni force physique ni intelligence. » (p.43)
Devant eux, c’est Azari qui parle :
« - La plèbe est en branle-bas, dit-il à Muriel qui était très sérieuse
« -qu’est-ce qui se passe, Ebinto ? me demanda-t-elle d’une voix légèrement tremblante.
« -Je suis venu te chercher.
« Oh ! là, là, ricana Azari. C’est la révolte du prolétariat.
« (…) – Vois-tu, Azari, je ne déteste personne parce qu’il est riche et je ne tolère pas qu’on me méprise parce que je suis pauvre. Mais je te mets en garde dès maintenant : je neveux pas que tu tournes autour de Muriel. » (p.44)
« On est sublime quand on a le courage de lutter loyalement pour ce qu’on aime » Muriel dit-elle à Ebinto. (p.45)
« La providence, répondis-je, philosophe, prend quelquefois le malin plaisir de torturer certaines pauvres gens. Il y a trois jours, quand je vous ai vu à côté du musée, vous veniez de quitter votre chambre d’hospitalisation. Maintenant c’est au tour de madame votre femme ; demain, sans doute, ce sera celui de monsieur votre fils. C’est à croire que l’hôpital vous plaît… Si vous m’en croyez, monsieur, vous abandonneriez votre existence absurde, vous achèteriez une machette et iriez vous faire embaucher dans une plantation de café. Vous gagneriez honnêtement votre vie.
- Moi, travailler aux champs ! Et à qui laisser Abidjan ? Il semblerait que la vie s’est arrêtée.» (p.60
« Mon unique fenêtre donnait derrière la maison, sur une espèce de minuscule dépression toujours inondée pendant la saison des pluies et que j’appelais mon « lac ». Mais ce qui faisait surtout mon orgueil, c’était ma petite bibliothèque. (…) Cette bibliothèque contenait une soixantaine de livres…
J’avais réservé la deuxième (étagère) à mes auteurs préférés et le grand Hugo y avait une place de choix. A côté de lui, il y avait Balzac, Saint-Exupéry, Mauriac et parmi les Africains David Diop, Birago Diop et Dadié. (…) aux côtés de Richard Wright, des sœurs Brontë, de Vallès, Pierre Benoît et de Morris West. Il y avait aussi des romans pour enfants d’Enid Blyton, de la comtesse de Ségur, etc. » (pp.63-64)
Deux lettres arrivent chez Ebinto pendant les vacances dans son village natal, Akounougbé. La lettre de Muriel qu’il ouvre d’abord et lit une séparation de celle-ci pour conserver leur amitié et puis elle partait poursuivre ses études en France. Ebinto est affligé. « J’ai relu plusieurs fois la lettres de Muriel. J’ai essayé de comprendre chaque mot, j’ai cherché à saisir un message secret qui me fût favorable. Mais il fallait que je fusse bien idiot pour ne pas comprendre que ce message était la sentence fatale. Muriel ne m’aimait pas. » (p.66)
Voilà un beau conseil pour un cours de commentaire de texte. Afin de comprendre le message, il faut lire entre les lignes, ce que le narrateur-récepteur de cette lettre veut faire : lire plusieurs fois, trouver le sens de chaque mot.
La deuxième lettre est celle de Monique lui annonçant qu’elle était enceinte de lui, son père allait la renvoyer de la maison, et lui Ebinto, s’il ne l’épousait pas, il le ferait mettre en prison.
« Ma pauvreté, j’en étais digne et m’en enorgueillissais, mais je compris ce jour-là qu’il était triste d’être pauvre. Etait-ce donc vrai que "l’argent c’est la vie" comme le disait Vautrin ? (p.67)
Adresse au lecteur, façon de trouver un complice ou un soutien « Ce soir-là, j’eus à parler à ma mère. Je lui racontai tout ce que tu sais, lecteur, sur Muriel, Monique et moi-même.
- Cette fille t’aime infiniment, me dit ma mère en parlant de Monique. Elle fera ton bonheur. » (p.70)
Cette situation est comme celle qu’on lit dans Andromaque de Jean Racine : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque (qui aime toujours son défunt mari Hector et son fils Astyanax) Monique aime Ebinto qui aime Muriel qui aime l’amitié avec Ebinto.
Le destin se joue ainsi d’Ebinto tout comme il se jouait des héros de l’antiquité.
Sa mère insiste pour qu’il épouse la fille.
« Nous sommes la génération de la transition entre deux civilisations. Nous sommes la génération du sacrifice. Un de mes jeunes camarades européens m’avait dit au collège que nous, jeunes Noirs, nous inventions nos problèmes, nos malheurs. J’ai répondu que s’il avait compris René, il n’y avait pas de raison qu’il ne nous comprenne pas. » Ce passage confirme la thèse contenue dans le livre de Cheikh Hamidou Kane L’aventure ambiguë dans lequel Samba Diallo a été le sacrifice.
« Jusqu’ici, j’avais considéré les hommes avec amour. La colère d’être un rien du tout m’ouvrit une autre voie : le MAL. Et, curieusement, je me souvins de Maldoror qui « fut bon pendant ses premières années » et qui « s’aperçut ensuite qu’il était né méchant : fatalité extraordinaire ! »
Les conseils de M. Rouget le chef de la plantation où Ebinto est engagé comme contremaître : « Voyez-vous, Ebinto, la vie n’a pas été facile avec moi. J’ai été dur avec elle. J’ai prévenu les coups. » (p.80) Il lui raconte la ruine et la mort de ses parents dans la décolonisation.
M. Rouget lui dit que « le bonheur consiste dans l’égalité des désirs et des forces » (p.88) En fait il cite Fromentin. Ebinto revient à Hugo et évoque « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent » (p.88)
Après avoir fait souffrir Monique par son indifférence, celle-ci avait fini par avorté lors d’une maladie, malgré l’aide de la femme d’un de se employé. Ce fut au tour d’Ebinto de tomber malade, Monique s’occupe de lui, lui faisait faire des promenades dans sa convalescence.
Ebinto s’inspire de nouveau de ses lectures : Les Misérables de Hugo. Il demande à Monique de lui lire « Elle se mit à lire, à parler de la misère humaine que Hugo a si bien peinte » (p.92) « Bien sûr Jean Valjean est un misérable ; Javert aussi ; Thénardier pis encore. Seulement, il y a des nuances de leurs misères. Certains essaient de sortir de la boue dans laquelle la nature les a mis, de lutter pour le bien et atteindre un certain idéal : ainsi Jean Valjean. D’autres croient toucher à l’idéal mais sans le savoir, ils sont misérables par leurs agissements inhumains : Javert par exemple. D’autres par contre plongent tête baissée dans le crime et connaissent la misère sous toutes ses formes : c’est le cas de Thénardier. Mais moi, en quoi étais-je comparable à ces personnages ? (92)
Philosophie : « Le chant du cygne » Platon dans Phédon : « Quand ceux-ci (les cygnes) sentent en effet venir l’heure de leur mort, le chant qu’ils avaient auparavant, ce chant se fait alors plus fréquent et plus éclatant que jamais, dans leur joie d’être sur le point de s’en aller auprès de Dieu dont ils sont les servants. Mais les hommes avec leur effroi de la mort calomnient jusqu’aux cygnes : ils se lamentent, dit-on, sur la mort ; la douleur leur inspire ce chant suprême ». « Tout est si absurde » (p.93)
Dans la 3ème partie, Monique, allée chercher du ravitaillement décide de partir. Elle laisse une lettre tenue au jour le jour à Ebinto. « J’ai décidé de lutter pour défendre mon amour » disait-elle (p.97)
« Ah, le mariage ! Il m’avait surprise, mais j’étais arrivée à en avoir une certaine idée. Il m’apparaissait comme un pacte dans lequel chacun des deux conjoints s’engage à comprendre l’autre en toutes circonstances et à lui pardonner si possible ; un pacte où la vérité doit subjuguer les discussions mesquines, où l’amour seul doit triompher. » (p.104). Ce passage est une page intertextuelle d’Une vie de Maupassant.
Celui-ci le lit et voit l’amour de la fille, et ses sentiments vrais s’en reviennent, il trouvera un vélo pour aller retrouver la fille à la gare, la nuit seule. Il la ramène et commence à rattraper le temps perdu, mais le temps est déjà perdu pour eux deux. Durant des congés pris ils décident de passer ça au village d’Ebinto. La nuit dans le fleuve à traversé, Monique tombe de la pirogue, car Ebinto l’avait quittée pour prendre une bouée de sauvetage et en ce moment l’orage redoubla. Sauvé par des pêcheurs, Monique est morte et elle sera enterrée par les siens. Ebinto est comme fou, sifflotant.
Comparaison entre Javert et Thénardier (p.107) mais aussi avec Vigny. « J’ai pleuré de me savoir plus méprisable que Javert et Thénardier pour m’être acharné lâchement sur une jeune fille qui avait commis le « crime » de m’aimer follement. » « Gémir, pleurer, prier est également lâche » célèbre idée de Vigny. (p.107)
Dans sa tentative de gagner la berge avec sa femme Monique, dans l’obscurité de la nuit et l’orage, Ebinto : « Courage, encore une brasse ; oui, une autre ; voilà, comme ça, continue » Chaque brasse me coûtait un effort surhumain, mais il fallait toujours en recommencer une autre, puis une autre encore ». (p.122) Pour l’effort surhumain afin de se sauver, voir aussi Antoine de Saint-Exupéry dans Terre des hommes, où Guillaumet fait des pas, encore des pas pour se sauver.
Amadou Koné, Les frasques D’Ebinto, Hatier-Paris, 2000.
« Chez moi, le rêve côtoie la réalité et corrige ses côtés négatifs ; Et je ne rêve pas, je vois la vie autrement », dit Ebinto à son amie Monique. (p.19)
« Les livres, c’est toujours la même histoire : un garçon qui aime une fille et patati et patata. Ca sert seulement à aiguiser la sensibilité et à faire souffrir. C’est pourquoi je ne lis jamais », termine Bazié, ami d’Ebinto. (p.27)
« Jette mon livre, dis-toi bien que ce n’est là qu’une des milles postures en face de la vie, choisis la tienne » André Gide cité par Ebinto (p.36)
« Moi, je l’aimais et je voulus passer du stade de l’amitié à celui de l’amour. Elle s’en rendit compte et me dit de ne pas confondre les deux choses. Elle me cita Hugo : « (L’amitié) c’est être frère et sœur, deux âmes qui se touchent sans se confondre, les deux doigts e la main. » « L’amour c’est être deux et n’être qu’un. Un homme et une femme qui se fondent en un ange. C’est le ciel. »
« Souvent j’étais avec Muriel toujours prêt à lui déclarer ma passion. Mais un geste, un simple coup d’œil de Muriel m’imposait un silence dans lequel je ne pouvais plus vivre ; Pourquoi cette jeune fille me tolérait-elle si elle ne m’aimait pas ? Etait-ce pour ne pas me blesser ou pour flatter son amour-propre ? En tout cas je ne me sentais pas l’âme de ces amoureux de l’époque précieuse en France et qui faisaient la cour à une femme pendant vingt ans avant d’avoir une réponse. » (p.42)
« Je vis Muriel avec Azari, le fils d’un médecin. Je n’entendais pas ce qu’ils se disaient mais ils semblaient s’entendre très bien. Muriel souriait à Azari. Les yeux de la jeune fille avaient ce même éclat que ceux de Monique quand elle me parlait.
« J’étais là, comme un étourdi par la vue de ces deux jeunes gens parfaitement heureux à mes dépens… Pourtant devais-je capituler, rester sur ma défaite et perdre Muriel ? Ne pas lutter ? Mais comment lutter ? L’amour ne demande ni force physique ni intelligence. » (p.43)
Devant eux, c’est Azari qui parle :
« - La plèbe est en branle-bas, dit-il à Muriel qui était très sérieuse
« -qu’est-ce qui se passe, Ebinto ? me demanda-t-elle d’une voix légèrement tremblante.
« -Je suis venu te chercher.
« Oh ! là, là, ricana Azari. C’est la révolte du prolétariat.
« (…) – Vois-tu, Azari, je ne déteste personne parce qu’il est riche et je ne tolère pas qu’on me méprise parce que je suis pauvre. Mais je te mets en garde dès maintenant : je neveux pas que tu tournes autour de Muriel. » (p.44)
« On est sublime quand on a le courage de lutter loyalement pour ce qu’on aime » Muriel dit-elle à Ebinto. (p.45)
« La providence, répondis-je, philosophe, prend quelquefois le malin plaisir de torturer certaines pauvres gens. Il y a trois jours, quand je vous ai vu à côté du musée, vous veniez de quitter votre chambre d’hospitalisation. Maintenant c’est au tour de madame votre femme ; demain, sans doute, ce sera celui de monsieur votre fils. C’est à croire que l’hôpital vous plaît… Si vous m’en croyez, monsieur, vous abandonneriez votre existence absurde, vous achèteriez une machette et iriez vous faire embaucher dans une plantation de café. Vous gagneriez honnêtement votre vie.
- Moi, travailler aux champs ! Et à qui laisser Abidjan ? Il semblerait que la vie s’est arrêtée.» (p.60
« Mon unique fenêtre donnait derrière la maison, sur une espèce de minuscule dépression toujours inondée pendant la saison des pluies et que j’appelais mon « lac ». Mais ce qui faisait surtout mon orgueil, c’était ma petite bibliothèque. (…) Cette bibliothèque contenait une soixantaine de livres…
J’avais réservé la deuxième (étagère) à mes auteurs préférés et le grand Hugo y avait une place de choix. A côté de lui, il y avait Balzac, Saint-Exupéry, Mauriac et parmi les Africains David Diop, Birago Diop et Dadié. (…) aux côtés de Richard Wright, des sœurs Brontë, de Vallès, Pierre Benoît et de Morris West. Il y avait aussi des romans pour enfants d’Enid Blyton, de la comtesse de Ségur, etc. » (pp.63-64)
Deux lettres arrivent chez Ebinto pendant les vacances dans son village natal, Akounougbé. La lettre de Muriel qu’il ouvre d’abord et lit une séparation de celle-ci pour conserver leur amitié et puis elle partait poursuivre ses études en France. Ebinto est affligé. « J’ai relu plusieurs fois la lettres de Muriel. J’ai essayé de comprendre chaque mot, j’ai cherché à saisir un message secret qui me fût favorable. Mais il fallait que je fusse bien idiot pour ne pas comprendre que ce message était la sentence fatale. Muriel ne m’aimait pas. » (p.66)
Voilà un beau conseil pour un cours de commentaire de texte. Afin de comprendre le message, il faut lire entre les lignes, ce que le narrateur-récepteur de cette lettre veut faire : lire plusieurs fois, trouver le sens de chaque mot.
La deuxième lettre est celle de Monique lui annonçant qu’elle était enceinte de lui, son père allait la renvoyer de la maison, et lui Ebinto, s’il ne l’épousait pas, il le ferait mettre en prison.
« Ma pauvreté, j’en étais digne et m’en enorgueillissais, mais je compris ce jour-là qu’il était triste d’être pauvre. Etait-ce donc vrai que "l’argent c’est la vie" comme le disait Vautrin ? (p.67)
Adresse au lecteur, façon de trouver un complice ou un soutien « Ce soir-là, j’eus à parler à ma mère. Je lui racontai tout ce que tu sais, lecteur, sur Muriel, Monique et moi-même.
- Cette fille t’aime infiniment, me dit ma mère en parlant de Monique. Elle fera ton bonheur. » (p.70)
Cette situation est comme celle qu’on lit dans Andromaque de Jean Racine : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque (qui aime toujours son défunt mari Hector et son fils Astyanax) Monique aime Ebinto qui aime Muriel qui aime l’amitié avec Ebinto.
Le destin se joue ainsi d’Ebinto tout comme il se jouait des héros de l’antiquité.
Sa mère insiste pour qu’il épouse la fille.
« Nous sommes la génération de la transition entre deux civilisations. Nous sommes la génération du sacrifice. Un de mes jeunes camarades européens m’avait dit au collège que nous, jeunes Noirs, nous inventions nos problèmes, nos malheurs. J’ai répondu que s’il avait compris René, il n’y avait pas de raison qu’il ne nous comprenne pas. » Ce passage confirme la thèse contenue dans le livre de Cheikh Hamidou Kane L’aventure ambiguë dans lequel Samba Diallo a été le sacrifice.
« Jusqu’ici, j’avais considéré les hommes avec amour. La colère d’être un rien du tout m’ouvrit une autre voie : le MAL. Et, curieusement, je me souvins de Maldoror qui « fut bon pendant ses premières années » et qui « s’aperçut ensuite qu’il était né méchant : fatalité extraordinaire ! »
Les conseils de M. Rouget le chef de la plantation où Ebinto est engagé comme contremaître : « Voyez-vous, Ebinto, la vie n’a pas été facile avec moi. J’ai été dur avec elle. J’ai prévenu les coups. » (p.80) Il lui raconte la ruine et la mort de ses parents dans la décolonisation.
M. Rouget lui dit que « le bonheur consiste dans l’égalité des désirs et des forces » (p.88) En fait il cite Fromentin. Ebinto revient à Hugo et évoque « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent » (p.88)
Après avoir fait souffrir Monique par son indifférence, celle-ci avait fini par avorté lors d’une maladie, malgré l’aide de la femme d’un de se employé. Ce fut au tour d’Ebinto de tomber malade, Monique s’occupe de lui, lui faisait faire des promenades dans sa convalescence.
Ebinto s’inspire de nouveau de ses lectures : Les Misérables de Hugo. Il demande à Monique de lui lire « Elle se mit à lire, à parler de la misère humaine que Hugo a si bien peinte » (p.92) « Bien sûr Jean Valjean est un misérable ; Javert aussi ; Thénardier pis encore. Seulement, il y a des nuances de leurs misères. Certains essaient de sortir de la boue dans laquelle la nature les a mis, de lutter pour le bien et atteindre un certain idéal : ainsi Jean Valjean. D’autres croient toucher à l’idéal mais sans le savoir, ils sont misérables par leurs agissements inhumains : Javert par exemple. D’autres par contre plongent tête baissée dans le crime et connaissent la misère sous toutes ses formes : c’est le cas de Thénardier. Mais moi, en quoi étais-je comparable à ces personnages ? (92)
Philosophie : « Le chant du cygne » Platon dans Phédon : « Quand ceux-ci (les cygnes) sentent en effet venir l’heure de leur mort, le chant qu’ils avaient auparavant, ce chant se fait alors plus fréquent et plus éclatant que jamais, dans leur joie d’être sur le point de s’en aller auprès de Dieu dont ils sont les servants. Mais les hommes avec leur effroi de la mort calomnient jusqu’aux cygnes : ils se lamentent, dit-on, sur la mort ; la douleur leur inspire ce chant suprême ». « Tout est si absurde » (p.93)
Dans la 3ème partie, Monique, allée chercher du ravitaillement décide de partir. Elle laisse une lettre tenue au jour le jour à Ebinto. « J’ai décidé de lutter pour défendre mon amour » disait-elle (p.97)
« Ah, le mariage ! Il m’avait surprise, mais j’étais arrivée à en avoir une certaine idée. Il m’apparaissait comme un pacte dans lequel chacun des deux conjoints s’engage à comprendre l’autre en toutes circonstances et à lui pardonner si possible ; un pacte où la vérité doit subjuguer les discussions mesquines, où l’amour seul doit triompher. » (p.104). Ce passage est une page intertextuelle d’Une vie de Maupassant.
Celui-ci le lit et voit l’amour de la fille, et ses sentiments vrais s’en reviennent, il trouvera un vélo pour aller retrouver la fille à la gare, la nuit seule. Il la ramène et commence à rattraper le temps perdu, mais le temps est déjà perdu pour eux deux. Durant des congés pris ils décident de passer ça au village d’Ebinto. La nuit dans le fleuve à traversé, Monique tombe de la pirogue, car Ebinto l’avait quittée pour prendre une bouée de sauvetage et en ce moment l’orage redoubla. Sauvé par des pêcheurs, Monique est morte et elle sera enterrée par les siens. Ebinto est comme fou, sifflotant.
Comparaison entre Javert et Thénardier (p.107) mais aussi avec Vigny. « J’ai pleuré de me savoir plus méprisable que Javert et Thénardier pour m’être acharné lâchement sur une jeune fille qui avait commis le « crime » de m’aimer follement. » « Gémir, pleurer, prier est également lâche » célèbre idée de Vigny. (p.107)
Dans sa tentative de gagner la berge avec sa femme Monique, dans l’obscurité de la nuit et l’orage, Ebinto : « Courage, encore une brasse ; oui, une autre ; voilà, comme ça, continue » Chaque brasse me coûtait un effort surhumain, mais il fallait toujours en recommencer une autre, puis une autre encore ». (p.122) Pour l’effort surhumain afin de se sauver, voir aussi Antoine de Saint-Exupéry dans Terre des hommes, où Guillaumet fait des pas, encore des pas pour se sauver.
Amadou Koné, Les frasques D’Ebinto, Hatier-Paris, 2000.
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